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LES POÈTES DU TERROIR

Disparut dans son antre, et fit place aux ténèbres,
Cent mille morts couvraient ces rivages funèbres.

Pêle-mêle, les survivants, jusqu’au dernier,
S’étaient enfuis, chassés par l’odeur du charnier.

Les morts restèrent seuls, les yeux béants, dans l’ombre,
Mais, déjà, sous la nuit plus propice et plus sombre,
De partout, de très loin, des monts et des forêts,
Des montagnes de Laz, des montagnes d’Arès,
Dardant leurs yeux de braise, et la langue pendante,
Les loups au ventre creux accouraient, meute ardente.
Et, carnassiers de l’air, dès le lever du jour,
Les sinistres corbeaux s’abattaient à leur tour,
Et les crabes, vomis par l’Océan tout proche,
Les crabes monstrueux, sortis des trous de roche,
Traînant leurs pieds velus sur ces chairs en lambeaux,
Fouillaient les morts, parmi les loups et les corbeaux.

Ce fut un long festin, sous les cieux taciturnes.
Les crabes lents, les corbeaux lourds, les loups nocturnes,
Les pucerons de mer, prodigieux mangeurs,
Les moucherons, ailés d’azur, les rats rongeurs,
Les vers grouillants, les vers, gonflés de pourriture,
Tous les pillards, tous les monstres de la nature,
Tous les pillards de l’air, de la terre et des eaux,
Dépouillèrent ces corps jusqu’aux moelles des os.

Or, quand le charnier fut en pleine purulence,
Le vent de mer souffla sur cette pestilence ;
Et, sur l’aile des vents fétides, le fléau
Frappa de mort l’humanité, comme un troupeau.
Foudroyant, il franchit, d’un vol, les deux Bretagnes.
Puis, il passa les mers, les fleuves, les montagnes ;
Les fleuves qui seront le Danube et le Rhin ;
Le Nil sacré, l’Euphrate et l’Indus souverain.
Il promena la mort jusqu’aux lointaines plages
Où grandissaient, déjà, les aïeux des Pélasges ;
Plus loin, jusqu’au berceau des cent peuples promis
Au joug d’or de Ninus et de Sémiramis ;
Plus loin encor, jusqu’aux barrières du vieux monde.
Jusqu’aux bords que le Gange arrose de son onde.