Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/486

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
464
LES POÈTES DU TERROIR

Et tordant vos grands troncs pour tenir les haleines
Des vents, vous aviez l’air d’abriter mon berceau.

Moi, je restais plongé dans l’arome des choses,
Dans la vie émanant de la terre et des flots :
Odeurs de goémons et de bruyères roses,
Vol d’une voile rouge, au loin, vers les îlots.

Le chaume de la ferme entrevu dans les branches,
Les vaches s’en allant des crèches dans le clos,
L’écume de la mer et ses mouettes blanches…
Tout égayait mes yeux entre mes cils mi-clos.

Que de levers de lune et de levers d’aurore
J’ai contemplés d’ici, mes pinceaux à la main !
Je reviens près de vous m’en souvenir encore,
Moi qui suis moins certain que vous du lendemain.

Pour vous, vieux châtaigniers, de si longues années
N’ont-elles pas terni tous ces tableaux mouvants ?
Vous avez vu passer tant de saisons fanées !
Vous avez entendu tant de bruits dans les vents !

Dites, quel aliment vous donne tant de force ?
Quel est votre secret, vieillards, pour tant vieillir ?
Quels esprits sont vivants sous votre rude écorce.
Qui semblent s’animer parfois et tressaillir ?

Ce ne sont pas les dieux des anciens sacrifices,
La lande ne voit plus leurs mystères sanglants ;
Où l’Ovate incantait les sombres maléfices,
Le pâtre va cueillir les mûres et les glands.

Doux sylphes de nos bois antiques, la prairie,
La lande et la palue entendent votre voix ;
Vous êtes les gardiens de cette métairie,
Et, sous votre enveloppe aussi, moi je vous vois.
 
Quand le Tasse et Ronsard ont reconnu votre âme,
N’avaient-ils pas surpris, un jour, dans leur Forêt,
Une plainte étouft’ée au tranchant de la lame
Que plongeaient dans vos flancs la hache et le foret ?

Ah ! qu’est-il de plus triste, en la saison d’automne.
Que de vous voir joncher la terre de vos corps.
Tandis que, sous le ciel humide et monotone,
Les bois silencieux semblent pleurer leurs morts !