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BRETAGNE

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On dit qu’on voit flotter, comme en de vastes urnes.
Les secrets du destin dans les étangs nocturnes ;
Et, quand au vent du soir bruissent les roseaux.
C’est le Verbe de Dieu qui passe sur les eaux.

L’étang de Keranglaz, nourri par des fontaines,
Pour prédire les sorts a des vertus certaines,
C’est pourquoi, vers l’étang magique, à pas discrets.
Du Pays de la mer, du Pays des forêts[1],
S’en viennent, les pieds nus, les vieilles « pèlerines »,
Leurs haillons noirs croisés sur leurs maigres poitrines.

Par les sentiers muets, leurs lentes oraisons
Geignent, et les oiseaux ont peur dans les buissons ;
Et les petits enfants, sur les genoux des mères,
Pressentent que les nuits aux hommes sont amères,
Que les jours sont mauvais, et que les destins noirs
Mêlent leur grande énigme au grand calme des soirs.

Les vieilles, cependant, à l’étang du mystère
Selon le rite ancien puisent l’eau salutaire.
Des gens seront guéris par ces philtres sacrés,
Car ces eaux sont des pleurs que des dieux ont pleurés.
La force de la terre est épandue en elles,
Et toute santé vient des sources éternelles…

Aux prés du ciel fleurit la lune, lis d’argent.
Qu’un mal intérieur chaque nuit va rongeant.
À des cils emperlés les herbes sont pareilles.
Le silence a des voix, les champs ont des oreilles,
Et les chênes, debout dans leur vivant repos,
Ont l’air de vieux bergers qui gardent des troupeaux.

… L’usage est qu’aux doux soirs, par les saisons fleuries,
On laisse les chevaux errer dans les prairies.
Or, les naseaux tendus, voici qu’une jument
Auprès delà barrière a henni longuement ;

Et c’est toi, Lévénez, ô blanche haquenée,
Par qui Tryphine aux gais pardons était menée,

  1. De l’Ar-mor et de l’Ar-goat.