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BRETAGNE

Bibliographie. — J. Rouxel, L’Œuvre de Lud Jan ; L’Hermine, 20 janvier 1894. — Louis Tiercelin, Nos Morts : Lud Jan ; L’Hermine, 20 oct. 1894. — J. Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvième siècle ; Paris, Lethielleux, 1895, in-18. — H. Joly, Lud Jan, greffier poète breton ; Versailles, L. Bernard, 1907, in-18, illustr. vol.  contenant un choix de poèmes).



LE PÂTRE


Enfant, j’eus pour ami, dans ma chère Bretagne,
Un pâtre de mon âge, un gars pensif et doux,
Qui, par les nuits d’été, debout sur la montagne,
Chantait d’un ton très lent, comme on chante chez nous.

Toujours sur le même air, d’une voix triste et tendre.
Longuement il berçait son monotone ennui ;
Et les rares passants s’arrêtaient pour entendre
Cette plainte mêlée aux plaintes de la nuit.

Il avait tout le jour couru dans les bruyères,
Sifflant les geais moqueurs et dérobant les nids ;
Mais sitôt que le soir éteignait ses lumières,
11 s’arrêtait, rêveur, sous les cieux infinis.

Des villages lointains, déjà noyés par l’ombre,
Les Angélus montaient vers la mort du soleil :
Et la prière ailée allait du clocher sombre
Perdre ses notes d’or dans l’horizon vermeil :

Le pâtre se tenait debout, la tête nue,
Et le signe de croix qu’il traçait largement
Prenait dans l’ombre vague une ampleur inconnue
Sur la sérénité du profond firmament.

Puis, quand tout s’effaçait, clochers et clartés roses.
Quand le silence énorme endormait l’horizon.
Dans le rayonnement mystérieux des choses
Il entendait venir le nocturne frisson…

Soudain, les bois heurtaient leurs pensives ramures :
Les ajoncs, les genêts, le chêne frémissant,
S’inclinaient vers la terre avec de sourds murmures,
Comme s’ils avaient peur lorsque la nuit descend.