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BRETAGNE

Comme il n’en tombe qu’en Bretagne.
Le ciel était d’un rose exquis ; la mer, là-bas,
Frissonnait sous des baisers roses.
Et les feux s’allumaient sur le phare de Batz
Dans le crépuscule des choses.
Du côté de Saint-Jean-du-Doigt, dans les vallons
Flottait une vapeur lointaine.
Et ta chapelle, où les dévots aux cheveux longs
Trempent leurs yeux dans la fontaine,
Toute blanche, élevait à droite de la mer
Son clocher parmi la verdure,
Et, vers le sud, les monts d’Arré, sur un fond clair,
Profilaient leur échine dure,
Et, tandis que, venant du pays de Tréguer,
J’allais, Saint-Pol, vers ton église,
Au détour d un chemin, devant moi, le Kreisker
Dressa soudain sa masse grise.
Lys de pierre, il rayait de blancheur l’Occident
Au droit de ses lignes très pures,
Et les fleurs de granit, toujours plus s’étendant,
Irradiaient leurs découpures !
Hiératiquement, les quatre clochetons,
Autour du grand lys de prodige,
S’épanouissaient comme autant de rejetons
Eclos sur une même tige.
Et des harpes, en ce ciel rose, en ce soir bleu,
Frémissaient devant ma paupière.
Et le rose et le rose, en passant au milieu,
Chantait dans les harpes de pierre !
Et le rose et le rose, au travers de la tour
Déroulait de fines écharpes,
Et le rose dans les roses granits à jour
Faisait toujours vibrer les harpes !
Et la pierre vibrait encore, et je rêvais.
Songeant aux penseurs, aux poètes
Dont le vol au-dessus de nos siècles mauvais
Est pareil au vol des mouettes.
Poète, que ton âme soit un Kreisker,
Haute et sublime d’envolées.
Et qu’elle aille chercher au hasard de l’éther
Les espérances en allées.