Page:Vandervelde - La Belgique et le Congo, le passé, le présent, l’avenir.djvu/202

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Ne nous faisons pas illusion. Abandonné à lui-même, le noir croupira dans la paresse et l’ignorance, comme il a vécu pendant tant de siècles… N’ayant aucun besoin, et vivant au jour le jour, sans s’inquiéter du lendemain, il ne travaillera que s’il y est forcé. Le noir ne sera civilisé que malgré lui, et puisque la France a étendu son protectorat sur ces contrées, elle a assumé l’obligation d’y introduire le progrès et la civilisation. Cette théorie, je m’en doute bien, va soulever des clameurs et faire crier à l’esclavage ; je puis répondre qu’étant au Congo depuis plus de vingt-quatre ans, et ayant sacrifié ma vie pour la cause des malheureux noirs, je suis à même de connaître ce qui convient le mieux à la France et aux noirs eux-mêmes.

Nous avons choisi ce témoignage parce qu’il émane d’un homme dont les bonnes intentions sont évidentes et que, défendue par de tels arguments, la thèse du travail obligatoire parait moins inacceptable que si l’on invoque le seul intérêt des blancs.

Mgr Augouard, en somme, voit dans l’indigène un mineur, et propose de le traiter comme tel.

Or, à première vue, il semble que les socialistes, qui admettent que l’on oblige les enfants à aller à l’école, ou les ouvriers adultes à s’assurer, à chômer le dimanche, à exercer le droit de vote, ne doivent pas avoir d’objections à imposer aux nègres « la loi sacrée du travail ».

Remarquons, cependant, que l’instruction obligatoire, l’assurance obligatoire, le repos hebdomadaire obligatoire, le vote obligatoire, ont ceci de commun que la considération principale qui les justifie, c’est l’intérêt, individuel ou collectif, des enfants ou des travailleurs.

Or, en est-il de même lorsqu’un groupement colonial intervient pour contraindre les indigènes au travail ?

Certes, nous ne voulons pas contester que, dans certains cas, il puisse en être ainsi.

Lorsque, par exemple, le décret du 10 mai sur les chefferies oblige les indigènes à débrousser, à nettoyer les villages, à construire des ponts ou des chemins, nous n’avons pas plus d’objections de principe contre ce mode de contrainte que