Page:Vandervelde - La Belgique et le Congo, le passé, le présent, l’avenir.djvu/208

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dépourvu, qu’aucun noir n’oserait refuser de partager son repas avec celui qui passe, fût-il inconnu : « Ce n’est là, ni l’hospitalité sémitique, ni la solidarité moderne. C’est un sentiment plus grossier, si l’on veut, plus instinctif, mais conséquemment plus fort : le rapprochement craintif de deux pauvres êtres, pour résister à l’ennemi, impitoyable pour tous, toujours présent à l’esprit du primitif, la faim. Le noir ne s’embauche donc sur nos chantiers, le plus souvent, que pour faire un cadeau à un griot, ou pour s’acheter un boubou, un cheval, des armes de parade, des gris-gris prestigieux, voire une femme. Dès qu’il a gagné ce qu’il désire, il retourne au village. On ne peut donc l’employer encore qu’à une besogne d’apprentissage rapide. »

D’autre part, le rendement de cette main-d’œuvre mal exercée est inférieur. Deux noirs, dans le même temps, ne font pas la tâche d’un seul blanc. Le noir est lent, distrait, négligent ; il ne coordonne pas ses mouvements, dont il ne cherche pas à expliquer le pourquoi ; de là une grande perte de temps, des malfaçons ; il se lasse vite.

Certes, on aurait tort de généraliser, outre mesure ; et, même avec des éléments d’ordre inférieur, on parvient à obtenir des travailleurs indigènes un effort considérable, lorsqu’ils travaillent sous la surveillance directe des chefs d’équipe ou d’entreprise.

Au pier de Matadi, par exemple, les Kroumen, les gens de Sierra-Leone, qui se trouvent sous l’œil des officiers du bord, et qui d’ailleurs risquent d’attraper des coups de pied ou des coups de cravache s’ils boudent à la besogne, font à peu près autant d’ouvrage que des débardeurs européens.

Mais voulez-vous voir ce qu’ils font, lorsqu’on les abandonne à eux-mèmes ? regardez les nettoyer le pont, une fois en mer, assis à croppetons et bavardant à qui mieux mieux, en poussant avec lenteur leur brique sur les planches, aussi longtemps qu’un capitaine les oblige à accélérer le mouvement.