Page:Vandervelde - La Belgique et le Congo, le passé, le présent, l’avenir.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liberté commerciale, tournant avec audace les stipulations de l’Acte de Berlin, il va inaugurer au Congo, pour se procurer de plus abondantes ressources, le monopole le plus fermé, le plus rigoureux, le plus exclusif qui ait été créé dans une colonie moderne.

Dès 1890, cette orientation nouvelle se manifeste par des actes de violence à l’égard des indigènes. Grenfell écrit, à cette époque, dans son journal de voyage : « Bula Matadi commence à être impopulaire parmi les populations du Haut Congo. On l’appelle I panga Ngunda, c’est-à-dire celui qui détruit la contrée. » En mai de la même année, Grenfell se plaint aussi, pour la première fois, des procédés qu’emploient les agents de l’État pour assurer à celui-ci, sinon en théorie du moins en pratique, le monopole de l’ivoire. Il accuse le représentant de l’État à Bumba de faire feu sur les canots qui descendent le fleuve avec de l’ivoire et d’empêcher les canots qui remontent, pour aller en acheter, de dépasser Upoto.

« Les agents de l’État — ajoute-t-il — ayant une prime sur l’ivoire qu’ils recueillent, en ramassent autant qu’ils peuvent. »

Malgré ces réclamations, au surplus, Grenfell reste un admirateur sincère de Léopold II, et, même en 1904, lorsqu’il a dû se rendre à l’évidence, et qu’il dénonce au monde les abus et les cruautés qu’engendre le rubber system, il continue à rendre un éclatant hommage à l’œuvre des débuts :

« Un merveilleux changement — dit-il[1], — se produisit pendant la seconde décade de ma vie africaine, dans cette contrée bouleversée que j’avais connue auparavant sous le pouvoir chaotique de centaines de chefs indépendants. J’ai souvent maintenu, et je crois avoir eu raison en le faisant, que dans aucune entreprise coloniale, même dans le double de temps, pareille étendue de territoire n’a été occupée et placée, plus ou moins, sous un gouvernement régulier. Le trafic de l’alcool a été restreint dans les limites les plus étroites, dans la zone côtière ; le cannibalisme et la traite

  1. Johnston, loc. cit. I. p. 376.