Page:Vapereau - L Annee litteraire et dramatique - 1869.djvu/68

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sait aveuglément à celui qu’on lui fit épouser, elle allait prêchant la même soumission aux femmes dont les maris étaient bien moins emportés que le sien, mais qui ne laissaient pas de porter sur leur visage des marques de la colère maritale. Elle leur disait : « Il n’appartient pas à des servantes de tenir tête à leur maître ; cela n’arriverait pas, si lorsqu’on vous lut votre contrat de mariage, vous aviez compris que c’était un contrat de servitude que vous passiez[1]. »

Tel est, suivant M. Robert Halt, l’idéal proposé à la femme par l’autorité séculaire du catholicisme. Tout le roman de Madame Frainex consiste à montrer comment, après l’éducation pieuse qui le fait accepter, la réflexion et l’expérience de la vie peuvent amener la femme à concevoir un idéal bien différent, conforme à la raison, à la liberté et à la dignité d’une créature humaine. Pour mieux marquer cette révolution, l’auteur nous présente trois figures de femmes : l’une, notre héroïne, qui brise sa chaîne avec vigueur, l’autre qui la traîne avec résignation, une troisième qui, aidant la faiblesse par la ruse, change habilement les rôles, gouverne en ayant l’air d’obéir et concilie la réalité du vice avec les apparences du devoir accompli. Les deux dernières restent fidèles au dogme chrétien, ou du moins à ses formes extérieures ; la première secoue toutes les tyrannies pour en briser une, et émancipe son esprit pour émanciper sa personne.

Mme Frainex, pieusement élevée par une pieuse mère, a aimé son mari d’un premier et ardent amour, le croyant digne d’elle. Il a de l’intelligence, de la grâce, une beauté virile, et elle lui prête la grandeur morale. Mais M. Frainex, comme le Montjoye ou le M. de Camors de M. O. Feuillet, est un de ces ambitieux de haut rang qui cachent sous les formes élégantes et la distinction raffinée du grand seigneur, le mépris des idées, l’indifférence du cœur, le scepticisme à l’égard de toutes les vertus. L’égoïsme est sa seule loi, l’habileté est son seul mérite ; la conscience et l’honneur ne sont pour lui que des grands mots dont il éblouit les autres. Il a pris sa femme, comme un instrument utile à sa fortune. Nièce d’un ministre, elle lui vaudra l’appui du gouvernement dans de grosses en—

  1. Confessions de saint Augustin, liv. IX, ch. ix.