Page:Vapereau - L Annee litteraire et dramatique - 1869.djvu/71

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André Léo, le cœur est plus grand que le talent, et que la vérité du sentiment fait la principale force de l’écrivain. On trouve aussi bien sous sa plume la touchante exposition des devoirs de la femme que la plus ou moins forte revendication de ses droits. Je ne résiste pas au plaisir de citer quelques lignes sur le dévouement de la fille ainée d’une pauvre famille aux plus jeunes enfants.

« C’était très-fatiguant, car le plus petit demandait toujours à être porté, et cela me pliait le corps, tant il était lourd et moi toute fluette. Je tâchai cependant de leur faire entendre raison, et puis je les aimais. Quand je les voyais courir après moi, se pendre à ma robe et me tendre leurs petits bras, j’en étais plus que fière ; ça me remuait tout le cœur, et je les embrassais à les étouffer. Je ne sais pas pourquoi, monsieur, quand on parle des plaisirs de ce monde, comme on fait tant, on ne parle pas de cette grande joie d’être nécessaire aux autres, de pouvoir donner du bonheur, de l’aide seulement à de pauvres créatures qui attendent cela de vous, et dont vous êtes l’espoir et comme la providence. Je ne connaissais point alors d’autre plaisir que celui-là, pauvre et abandonnée que j’étais moi-même, et cela me suffisait pour aimer la vie. »

Toute la première partie de Double histoire est sur ce ton : c’est le récit des douleurs d’une femme du peuple par le double effet de la misère et des vices des siens. Accablée de charges de famille, battue par un père ivrogne, épuisée de forces, elle se laisse consoler par un peu d’amour illégitime. Mais celui qu’elle aime n’est pas de son monde et trouve tout naturel de l’abandonner pour épouser une héritière. La contre-partie de son histoire est celle de cet homme à qui son mariage d’ambition et de prétendues convenances n’a causé que des malheurs. Il a essayé d’y échapper par une tentative de suicide, mais le dévouement de la femme qu’il avait méconnue le fait renaître à l’espérance et à la vie.

Dans ces récits très-simples de conception, mais compliqués cependant d’incidents romanesques, se fait jour partout le principe de l’égalité des sexes, méconnu par la religion, les mœurs et la loi ; on voit aussi se produire, ‘dans un souverain mépris des formalités sociales qui président à l’union de l’homme et de la femme, la prétention dangereuse de justifier le concubinage par l’amour. Si ces idées ne se développent pas sous forme de thèses en