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LE DROIT DES GENS.

ni uſage de la raifon, uniquement bornés, comme les bêtes, aux facultés ſenſitives. On voit de plus que la Nature a refuſé aux hommes la force & les armes naturelles, dont elle a pourvu d’autres animaux, leur donnant, au lieu de ces avantages, ceux de la parole & de la raiſon ; ou au moins la faculté de les acquérir dans le commerce de leurs ſemblables. La parole les met en état de communiquer enſemble, de s’entr’aider, de perfectionner leur raiſon & leurs connoiſſances ; & devenus ainſi intelligens, ils trouvent mille moïens de ſe conſerver & de pourvoir à leurs beſoins. Chacun d’eux ſent encore en lui-même qu’il ne ſçauroit vivre heureux & travailler à ſa perfection, ſans le ſécours & le commerce des autres. Puisdonc que la Nature a fait les hommes tels, c’eſt un indice manifeſte qu’elle les deſtine à converſer enſemble, à s’aider & ſe ſécourir mutuellement.

Voilà d’où l’on déduit la ſociété naturelle établie entre tous les hommes. La Loi générale de cette ſociété eſt, que chacun faſſe pour les autres tout ce dont ils ont beſoin & qu’il peut faire ſans négliger ce qu’il le doit à ſoi-même : Loi que tous les hommes doivent obſerver, pour vivre convenablement à leur nature & pour ſe conformer aux vues de leur commun Créateur ; Loi que notre propre ſalut, notre bonheur, nos avantages les plus précieux doivent rendre ſacrée à chacun de nous.Telle eſt l’obligation générale qui nous lie à l’obſervation de nos devoirs ; rempliſſons-les avec ſoin, ſi nous voulons travailler ſagement à notre plus grand bien.

Il eſt aiſé de ſentir combien le monde ſeroit heureux fi