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L’EXIL


« un mot de cœur et de remerciement ». C’est fait. Vite, la poitrine gonflée de sanglots, il rejoint la troupe fugitive, se redisant à lui-même, pour s’encourager et se consoler, la parole de l’apôtre : « A qui aime Dieu, tout profite[1]. »

L’expulsion qui n’a pas eu lieu à Chezal-Benoit, Issoudun la subira. Le 5 novembre était, cette année-là, le premier vendredi du mois, jour particulièrement consacré au souvenir de la Passion et au culte du Sacré Cœur. Bien avant le lever du soleil, de nombreux détachements de soldats et des gendarmes gardaient toutes les avenues de la Basilique et en interdisaient l’entrée. Pendant ce temps-là, dans la maison des Missionnaires, on crochetait les portes, on envahissait les cellules, on expulsait les religieux. « Quoi ! disait au commissaire de police un vénérable prêtre à cheveux blancs, ce n’était donc pas assez d’avoir été banni d’Alsace par les Prussiens ! J’ai opté pour la France, et vous, Français, vous me chassez ! » A un Père qui l’invitait à se chauffer, un gendarme grelottant de froid et plus encore de honte, disait : « Ah ! si je n’avais pas mes enfants à nourrir, je ne ferais pas ce métier de malheur ! »

Oui, métier de malheur — et de malédiction... Où sont-ils les héros du crochetage ? Les uns ont disparu en des aventures honteuses ; les autres ont fait, suivant le mot populaire, de vilaines morts. D’aucuns sont devenus fous.

Le prêtre qui écrit ces pages, visitant, en 1886, à Moulins, la maison des aliénés, remarqua un homme aux yeux hagards, à la figure convulsée, aux mains tremblantes. Il s’arrête près de lui. On dit au malheureux que ce passant est un Missionnaire du Sacré-Cœur. Alors, s’enfonçant en quelque sorte dans le mur, comme pour échapper à la vision : « Oh ! quel mal je vous ai fait ! pardonnez-moi ou je suis damné... Dites que vous me pardonnez. » C’était le commissaire de police qui avait exécuté les décrets au noviciat de Saint-Gérand.

  1. Rom., viii, 28. Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum.