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— 1815 —

d’instigateurs de luttes civiles, de provocateurs de guerres étrangères, et à oublier les fâcheuses circonstances de leur avénement. Si les faits, du moins, avaient répondu à ces paroles maladroites de pardon et d’oubli ! Mais non : la cour semblait se complaire dans les souvenirs les plus irritants. Après avoir successivement célébré les anniversaires de la mort de madame Élisabeth, du jeune Louis XVII et de Marie-Antoinette ; après avoir fait dire des services solennels pour Moreau, pour Pichegru, pour Georges Cadoudal et les onze chouans exécutés avec ce dernier[1] ; après avoir applaudi à la proposition du maréchal Soult, d’éterniser, par des monuments et des fondations pieuses, la mémoire d’un des plus tristes épisodes de nos guerres civiles, la cour ordonna qu’un monument serait élevé, place Louis XV, sur le lieu même de l’exécution de Louis XVI, et elle voulut que la commémoration de la journée témoin de l’événement, le 21 janvier, devînt l’occasion d’une grande expiation nationale[2]. Des services solennels dans toutes les églises du royaume ne purent suffire à cette soif de douleurs réactionnaires ; il fallut à la cour des exhumations d’ossements et tout le simulacre de funérailles royales. Les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette, inhumés depuis un quart de siècle à une profondeur de neuf à dix pieds, sous une épaisse couche de chaux vive, avaient dû se trouver promptement consumés. On fouilla cependant le sol, la chaux fut découverte, et l’on recueillit quel-

  1. La quête fut faite par madame de Polignac, à laquelle le marquis de Rivière donnait la main, et les frais furent payés par le roi. (Moniteur du 25 juin 1814.)
  2. On sait les prétentions de Louis XVIII à la réputation de latiniste consommé. Si ce prince, au lieu d’apprendre par cœur les petits vers d’Horace, avait lu Tacite et retenu quelques passages de ses Annales, son érudition, probablement, aurait été plus profitable à son règne ; il aurait pu répondre, au maréchal Soult et à tous les poursuivants de monuments et de cérémonies expiatoires, par la citation de ces mots de Tibère aux courtisans qui le pressaient d’élever un autel à la Vengeance : « Il faut des monuments pour les victoires étrangères, et, pour les malheurs domestiques, le silence et la douleur ! »