Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
— 1815 —

clergé de cette paroisse, qu’elle comblait de ses dons ; morte, ce clergé lui refusa ses prières ; il fit fermer l’église, et le corps dut s’arrêter devant la grille placée en avant de la principale porte. Les amis de la comédienne essayent de parlementer ; le curé ne veut rien entendre. La foule, pendant ce temps, s’amasse. Bientôt les têtes s’échauffent ; les plus exaltés escaladent la grille, et, comme elle résiste aux efforts des amis de la défunte, la foule s’empare du cercueil, lui fait franchir l’obstacle à force de bras, et parvient à le transporter dans l’intérieur de l’édifice. Tous ces faits avaient pris du temps ; la rue Saint-Honoré et toutes les rues voisines se trouvèrent bientôt remplies par des masses si compactes et si résolues, que tous les efforts de la police et des détachements de mousquetaires (maison rouge) envoyés sur les lieux pour rétablir l’ordre demeurèrent impuissants. Des cris de colère contre le gouvernement et le clergé sortaient de toutes les bouches ; dans les groupes les plus animés, on proposait de se porter sur les Tuileries. Il serait difficile de dire ce qui serait advenu, si Louis XVIII, averti, n’avait envoyé, assure-t-on, un des prêtres de sa chapelle pour faire à l’actrice qu’il avait applaudie l’aumône de quelques prières. Cette satisfaction finit par calmer la foule ; le cercueil quitta l’église et fut conduit à sa dernière demeure par plusieurs milliers de personnes qui ne connaissaient point mademoiselle Raucourt ou ne savaient pas, le matin, qu’elle fût morte. Le sens de cette manifestation échappa aux courtisans. Le mécontentement public avait saisi cette occasion pour éclater avec une menaçante énergie. La cour ne vit là qu’une émeute de comédiens et un vulgaire accident de rue.

Il était difficile, au reste, que la vérité pût se produire : la censure pesait si lourdement sur la presse, que pas une des publications périodiques de cette époque, journaux royalistes ou journaux opposants, ne mentionna les obsèques dont nous venons de résumer les principaux incidents ; tous se bornèrent à annoncer le décès de l’actrice ; la censure ne leur per-