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— 1815 —

heure, l’avait gracieusement rendu au prince de Neufchâtel en lui disant que ces titres ne pouvaient retourner en de meilleures mains. Vainement le maréchal se plaignit et réclama contre cette fable, que toutes les feuilles publiques s’étaient empressées de reproduire ; la censure ne permit aucun démenti. Les prêtres eux-mêmes, se posant comme les héritiers des moines, voulaient rentrer en possession des anciennes propriétés dites du clergé. L’un d’eux, à Savenay (Loire-Inférieure), déclara en pleine chaire que les détenteurs de biens nationaux qui ne les restitueraient pas, soit aux nobles, soit aux curés, auraient le sort de Jézabel ; qu’ils seraient dévorés par les chiens. Telle était la confiance d’un grand nombre d’anciens émigrés dans cette restitution, que si quelques-uns acceptaient les offres d’arrangement faites par la peur, d’autres repoussaient toute espèce de transaction[1].

L’irritation, dans les premiers jours de février, avait gagné toutes les classes, même cette noblesse impériale, à qui l’on pouvait supposer une certaine indulgence pour les faiblesses d’un régime où les titres reprenaient une partie de leurs anciens priviléges, en donnant un droit sérieux au monopole de toutes les positions influentes ou lucratives. Les griefs de cette noblesse contre la nouvelle Monarchie étaient nombreux ; voici le tableau qu’en a tracé un de ses membres, esprit calme, caractère réservé, que nous avons déjà cité plusieurs fois :

  1. On lit à ce sujet dans le Journal de Paris du 12 février : « Tous les journaux parlent avec éloge des restitutions volontaires que font les acquéreurs de domaines nationaux aux anciens propriétaires. Voici, à cette occasion, une anecdote assez singulière :
    « Le marquis de..., rentré en France à la suite du roi, se trouve, par une succession, possesseur d’une somme de 80,000 fr. Un matin il reçoit la visite de son ancien fermier, qui s’est rendu, à bon marché, l’acquéreur du bien de son seigneur. « Monsieur le marquis, lui dit le fermier, il vaut mieux que vos biens soient tombés entre mes mains que dans celles d’un autre ; car je suis un brave homme, et je viens vous le prouver. Votre domaine vaut 700, 000 fr. ; je sais que vous avez une somme de 80,000 fr., donnez-la-moi, et je vous rends tout. — Mon ami, répond le marquis, je ne suis pas si dupe : je n’ai pas confiance dans les biens nationaux ; je vais employer mes 80,000 fr. à acheter un bon petit bien patrimonial. »