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— 1815 —

l’instinct qui révèle à chaque pas le secret de sa conservation, en rentrant d’eux-mêmes dans les rangs plébéiens. Ils étaient sûrs de conserver là les titres dont ils aimaient à se faire honneur, de rester les plus distingués dans le parti le plus imposant par sa richesse et sa masse ; d’avoir les honneurs et les profits de l’alliance, en formant cependant une classe à part, et la première au milieu de leurs égaux, qui se trouvaient ainsi associés à toutes leurs rancunes, peut-être aussi à tous leurs rêves d’espérance ; car ce n’était pas une époque de sécurité que la fin de 1814 et les premiers mois de 1815, malgré le besoin de repos qu’avait l’Europe. Cette époque n’était, à proprement parler, qu’une nouvelle épreuve ; partout, du moins, on me paraissait la juger ainsi[1]. »

Hormis les impuissants partisans de l’ancien régime, il n’était donc pas une opinion, pas un intérêt, qui ne fût hostile à la Restauration ; encore les vieux royalistes reprochaient-ils amèrement à Louis XVIII ses ménagements envers les choses de la Révolution et les hommes de l’Empire, mais surtout la publication de la Charte. Il y a plus : l’inexpérience et les préjugés des Bourbons, l’ignorance et les fautes de leurs agents, n’étaient pas les seules causes de cette hostilité universelle ; la plupart des membres de cette famille avaient le malheur de prêter au ridicule. Ce grief, pour n’avoir rien de sérieux, n’en était pas moins redoutable ; il ajoutait une force considérable aux attaques des adversaires de la Restauration, en même temps qu’il affaiblissait la parole de ses défenseurs. Le moyen de lutter contre des railleries ! La foule ne voyait dans Louis XVIII que le monarque obèse, infirme, coiffé à l’antique, portant d’immenses guêtres de velours au lieu de bottes, ayant de grosses épaulettes sur un frac bourgeois, et, du haut d’un balcon, passant des revues assis dans un fauteuil. Le souverain lettré disparaissait derrière l’homme physique[2]. On reprochait à ce

  1. Mémoires d’un ministre du Trésor, par le comte Mollien. t. IV.
  2. On lit, dans les Mémoires de M. de la Fayette, t. V : « C’était un désavantage, en remplaçant le vainqueur de l’Europe le plus actif, le plus commandant