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qui font l’épouse honorée, elle avait beaucoup de bienveillance et de bonté dans le cœur, bien qu’on en ait dit : malheureusement son maintien était roide, sa voix rude et forte ; chacun de ses gestes semblait un signe de mécontentement ; chacun de ses mots empruntait au son de sa voix un accent de sévérité qui blessait. Il n’était pas jusqu’à l’habituelle tristesse qu’une longue vie de douleurs avait empreinte sur son visage qui ne parût à la foule l’expression de la hauteur ou de dédain.

Le duc de Berri, nature jeune, vigoureuse, avait, en revanche, de nombreux travers. Tant que durait le jour, on le voyait s’efforcer de copier les allures militaires de l’Empire ; puis, le soir venu, il affectait de faire revivre les mœurs faciles de l’ancienne cour. Intelligence commune, esprit inculte, il apportait dans ce double rôle une fougue et une rudesse également fâcheuses. Ses amours étaient bruyants, mal choisis, et ses rapports avec l’armée n’avaient rien de la dignité et de la tenue qui conviennent à ceux que leur naissance seule fait chefs de soldats. Désireux de popularité, il la cherchait dans une affectation maladroite d’habitudes de bivac, dans des mots vulgaires, souvent grossiers, qui dégénérèrent plus d’une fois en de véritables insultes. On le vit, dans une discussion, s’oublier jusqu’à porter la main sur les épaulettes d’un officier supérieur. Un autre jour, passant en revue des régiments cantonnés dans la division militaire dont le duc de Trévise était gouverneur (Lille), un officier sort des rangs et demande la croix de Saint-Louis. « Qu’avez-vous fait pour l’obtenir ? répond le jeune duc. — J’ai servi trente ans dans l’armée française. — Trente ans de brigandage ! » réplique le prince en tournant le dos. Le duc de Berri, il est vrai, essaya le lendemain de réparer sa faute ; l’officier obtint la croix demandée. Mais le mot avait circulé ; l’effet était produit. Ce prince irrita profondément les troupes. Les courtisans et le monde officiel croyaient très-sérieusement excuser ces incartades en comparant le duc de Berri à son aïeul Henri IV, et en rap-