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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/175

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— 1815 —

principauté de Bénévent ; les Bourbons de Sicile ont promis de la restituer avec bénéfice, » disaient les uns. « L’Angleterre est de toutes les puissances celle qui dépense le plus en pensions secrètes, disaient les autres ; les complaisances de M. de Talleyrand sont le prix d’un salaire splendide. » Cette double supposition pouvait se trouver fondée sans être pourtant l’unique mobile de notre plénipotentiaire, car aucun homme politique ne savait, aussi bien que lui, changer en une source de considérables bénéfices personnels toute affaire, toute chose, même une simple question de principes[1]. Quoi qu’il en soit, sa partialité pour les cours de Vienne et de Londres était trop ouverte, trop évidente, pour échapper à Alexandre.

On raconte que le Tzar, ayant invité le prince de Bénévent à un entretien, lui témoigna son étonnement de trouver dans la légation française une hostilité systématique, au lieu de la condescendance et de l’appui qu’il était en droit d’attendre. M. de Talleyrand s’excusa sur les formelles instructions de sa cour, et sur un respect pour les principes et pour le droit qui faisait taire chez lui toutes les autres considérations. « J’aurais compté sur plus de reconnaissance de la part de la France, » répondit Alexandre. À quelques jours de là, les Russes cessèrent de se montrer dans les salons du plénipotentiaire de Louis XVIII ; les Prussiens s’abstinrent également de le visiter.

Cet interminable débat de la Pologne et de la Saxe devait-il aboutir à un appel aux armes ou une transaction ? L’Autriche,

  1. « Je sais d’une manière positive que Murat avait engagé M. de Talleyrand à défendre ses intérêts au congrès de Vienne, afin d’obtenir d’être rangé dans la catégorie de Bernadotte. Comme ce n’était pas la première fois qu’il négociait avec Talleyrand, il commença par lui envoyer 300,000 ducats (1,250,000 fr.), qui furent acceptés. Talleyrand en avait reçu autant de Ferdinand, compétiteur de Murat. Il se décida pour Ferdinand, et celui-ci, en reconnaissance, non-seulement lui conserva la principauté de Bénévent, mais il y ajouta le duché de Dino, pour le neveu du diplomate. » (Mémoires du duc de Rovigo, t. VIII.) — Trente ans auparavant, le 2 avril 1787, Mirabeau, écrivant au comte d’Antraigues, disait déjà de M. de Talleyrand : « C’est de la boue et de l’argent qu’il lui faut ; pour de l’argent, il a vendu son honneur et son ami ; pour de l’argent, il vendrait son âme, et il aurait raison, car il troquerait son fumier contre de l’or. »