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— 1815 —

nombre des trois plénipotentiaires qui, le 8 mars, furent chargés de se rendre auprès de Frédéric-Auguste pour le sommer de consentir au démembrement de ses États héréditaires. Le noble et vieux roi refusa : « Il ne voulait pas, disait-il, signer sa honte. » M. de Talleyrand et ses deux collègues revinrent à Vienne ; ils y trouvèrent les esprits agités par une nouvelle qui obligeait les souverains à se débarrasser de la question de la Saxe et à en brusquer le dénoûment. Le 12, le congrès, pressé d’en finir, déclara que, « vu la réunion du roi de Saxe au plus cruel ennemi de l’Allemagne, par la remise qu’il lui avait faite de Torgau, la Prusse pouvait se mettre incontinent en possession de la partie de la Saxe qui lui avait été dévolue ; qu’on se réservait de justifier la conduite tenue envers Frédéric-Auguste en publiant un exposé de la sienne, et en réfutant ses plaintes de manière à les empêcher de corrompre l’opinion. »

Cet arrêt venait de fixer le sort de la monarchie saxonne.

Vienne, jusqu’à cette date du 12 mars, avait offert la plus étrange physionomie. Il était difficile de soupçonner la gravité des intérêts politiques débattus au sein du congrès, à l’aspect des fêtes qui, chaque soir, réunissaient les membres de cette assemblée, les empereurs et les rois dont ces membres représentaient les intérêts opposés, ainsi que la foule de diplomates à la suite, et de princes plus ou moins souverains, qui venaient implorer la pitié de ces distributeurs d’États et de couronnes. Chaque jour, c’était un divertissement nouveau : une course en traîneaux succédait à une chasse, une soirée dansante à un bal costumé ou travesti. Les mêmes personnages qui, adversaires intraitables le matin, venaient peut-être d’expédier des courriers pour assembler des troupes, organiser l’invasion et la guerre, se rencontraient, le soir, pour causer d’intrigues galantes et arrêter le plan d’une fête nouvelle. Le lendemain, leurs peuples, leurs armées, pouvaient s’entr’égorger : que leur importait ? les coups ne devaient pas les atteindre : ils dansaient en attendant. Jamais le sort des nations ne fut plus joyeusement discuté.