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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/201

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— 1815 —

en mesure de ne pas être enlevé avant d’avoir tenté la chance qu’il avait résolu de courir. Il augmenta les fortifications de son île, garnit toutes les côtes de batteries, mit de l’artillerie partout et amassa quelques vivres. Les précautions dont il s’entoura devinrent encore plus rigoureuses par la présence en Corse, vers cette époque, d’un ancien chef de chouans que la Restauration avait fait général, puis gouverneur de la Corse, et qui ne cessait de parler, lui aussi, de la nécessité pour les Bourbons de se débarrasser du voisinage de Napoléon. Ce personnage, du nom de Bruslart, avait pour mission de surveiller l’île d’Elbe. Sa parole violente, exagérée, la maladresse de quelques agents qu’il essaya de faire pénétrer à Porto-Ferrajo[1] et qui furent arrêtés, la triste célébrité atta-

    prince à l’île d’Elbe. Il lui apprit tout ce qui avait été résolu contre lui ; il ajouta quelques détails qui portèrent la conviction dans l’esprit de l’Empereur, car il avait une grande confiance dans l’élévation d’âme de l’officier étranger qui s’exposait à tant de dangers pour le prévenir. »
    Au dire d’autres écrivains, Napoléon aurait connu le projet de l’enlever de l’île d’Elbe par le prince Eugène, à qui l’empereur Alexandre en aurait fait la confidence pendant un court séjour que fit Eugène à Vienne. Il est possible que l’ancien vice-roi ait averti son beau-père. La nouvelle, dans tous les cas, serait venue à ce dernier de plusieurs côtés à la fois. La déportation de Napoléon était une question que l’on agitait ouvertement ; les plénipotentiaires anglais et français, nous venons de le dire, n’y mettaient aucun mystère. Il y eut même, assure-t-on, une proposition formelle qu’Alexandre repoussa, en disant qu’il avait garanti à Napoléon la possession de l’île d’Elbe et qu’il entendait tenir sa parole.
    Enfin, ce n’était pas seulement au sein du public officiel de Vienne que le projet de déporter Napoléon de l’île d’Elbe était connu et discuté. On s’en entretenait tout haut à la cour de Louis XVIII et chez ses ministres. La Quotidienne, journal du royalisme le plus ardent, en annonçant à ses lecteurs, le 8 mars 1815, la présence de Napoléon sur le territoire français, ajoutait ces lignes décisives : « Le débarquement de Bonaparte n’est qu’un acte de désespoir. Il paraît certain que le congrès avait pris la résolution de fixer une autre résidence à Napoléon, dont, suivant toute apparence, les intrigues contribuaient à l’agitation de l’Italie. C’est pour prévenir les effets de cette détermination qu’il s’est décidé à faire une entreprise de flibustier contre quelques petites villes de la Provence dépourvues de troupes et d’artillerie. Il serait beaucoup trop flatteur d’appliquer le nom de témérité à une semblable tentative. »

  1. Porto-Ferrajo est la principale ville de l’île d’Elbe ; elle compte 2,000 habitants. Napoléon y résidait.