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— 1815 —

tendaient comme le Messie. Je remis à Émery des lettres pour le duc de Bassano et pour Labédoyère.

Je composai mon avant-garde de cent hommes d’élite, commandés par Cambronne. Arrivé à l’embranchement des routes d’Avignon et de Grenoble, je dis : À droite ! et alors seulement je fis connaître mes projets sur Grenoble. Je refusai d’entrer dans Grasse, ville de dix mille âmes, et je bivaquai sur une hauteur qui domine la ville. Quelques anciens terroristes vinrent m’offrir de révolutionner la population. Je les refusai, et leur dis de ne pas bouger, de respecter même la cocarde blanche, et que pour cinquante millions je ne m’arrêterais pas une heure[1]. »

Grasse était en alarme quand Napoléon s’y présenta. On venait d’y répandre le bruit d’un nombreux débarquement de pirates. Toutes les boutiques et la plupart des fenêtres de chaque maison étaient fermées ; mais les habitants remplissaient les rues. La colonne traversa la ville et la foule sans provoquer la moindre manifestation. L’accueil silencieux de cette population avait étonné les soldats ; cette froideur n’était pas d’un favorable augure. Mais bientôt l’inquiétude cessa : un grand nombre d’habitants, le premier moment de surprise passé, se portèrent vers la colonne impériale avec des aliments de toute espèce et aux cris de Vive l’Empereur ! Cette foule ne tarda pas à entourer Napoléon, qui en parcourut les rangs, comme il aurait fait à un cercle des Tuileries. C’étaient la même attitude, les mêmes demandes qu’aux temps de sa toute-puissance : l’un se plaignait de ne pas avoir reçu sa pension, l’autre demandait qu’on voulût bien augmenter la sienne ; la croix de celui-ci avait été retenue dans les bureaux ; celui-là demandait de l’avancement, etc. Il lui fallut recevoir une foule de pétitions que, déjà, on avait eu le temps d’écrire, et que les solliciteurs lui remettaient comme s’il venait de Paris, faisant une tournée dans les départements.

  1. Récits de la captivité de Sainte-Hélène, par le comte de Montholon.