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— 1815 —

qui eut lieu devant Paris il était sans munitions, par la séparation de ses parcs de réserve.

Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon cœur fut déchiré, mais mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l’intérêt de la patrie ; je m’exilai sur un rocher au milieu des mers : ma vie vous était et devait encore vous être utile ; je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m’accompagner partageassent mon sort ; je crus leur présence utile la France, et je n’emmenai avec moi qu’une poignée de braves nécessaires à ma garde.

Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire, qui ne peuvent être garantis que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances.

Un prince qui régnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la force des mêmes armées qui ont ravagé notre territoire, chercherait en vain à l’étayer des principes du droit féodal ; il ne pourrait assurer l’honneur et les droits que d’un petit nombre d’individus ennemis du peuple, qui, depuis vingt-cinq ans, les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité intérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.

Français ! dans mon exil j’ai entendu vos plaintes et vos vœux ; vous réclamez ce gouvernement de votre choix qui seul est légitime. Vous accusez mon long sommeil, vous me reprochez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie.

J’ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce ; j’arrive parmi vous reprendre mes droits, qui sont les vôtres. Tout ce que des individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l’ignorerai toujours ; cela n’influera en rien sur le souvenir que je conserve des services importants qu’ils ont rendus ; car il est des événements d’une telle nature, qu’ils sont au-dessus d’une organisation humaine.

Français ! il n’est aucune nation, quelque petite qu’elle soit, qui n’ait eu le droit et qui ne se soit soustraite au déshonneur d’obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII rentra à Paris et renversa le trône éphémère de Henri VI, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves, et non d’un prince régent d’Angleterre[1]. C’est aussi à vous seuls et aux braves de l’armée que je fais et ferai toujours gloire de tout devoir.

Napoléon. »

  1. Allusion au discours adressé par Louis XVIII au prince régent lors de son passage à Londres, le 21 avril 1814. (V. p. 49 de ce volume.)