Aller au contenu

Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
221
— 1815 —

La route suivait une vallée assez resserrée. Dans les champs, dans les prés des deux côtés du chemin, et sur les flancs des collines, on voyait un nombre considérable d’habitants de la campagne, que le bruit du prochain passage de l’Empereur et la présence des détachements revenus pendant la nuit de la Mure avaient fait accourir de tous les villages et de tous les hameaux voisins. Les vœux de cette population étaient pour Napoléon ; la vue de ce souverain exaltait l’enthousiasme et comblait les espérances de cette foule ; elle brûlait de se jeter au-devant de lui, de le saluer de ses acclamations ; et cependant l’inquiétude, l’attente de ce qui allait se passer, la tenaient muette et immobile.

Quand les deux colonnes furent en présence, Napoléon commanda aux siens de mettre l’arme sous le bras, et, descendant de cheval, il s’avança vers les troupes royales. Ses grenadiers, le canon de leur fusil dirigé vers la terre, ne le suivaient qu’à distance. Le moindre mouvement, un cri, un coup de feu, décidaient en ce moment la destinée de Napoléon. Nul, toutefois, ne bougeait. Toutes les pensées des hommes réunis sur cet étroit espace semblaient concentrées dans leurs regards : leurs yeux ne quittaient pas ce chef à redingote grise, qui, seul, isolé des siens, la contenance calme et la poitrine découverte, marchait droit aux 700 soldats armés, placés en travers de sa route. Arrivé à vingt pas environ du front de bataille, Napoléon s’arrêta, porta la main à son chapeau, salua, et dit d’une voix forte : « Soldats du 5e de ligne, s’il en est un seul parmi vous qui veuille tuer son général, son Empereur, il le peut : me voilà ! »

Il y eut alors un moment de silence suprême ; puis, un immense cri de Vive l’Empereur ! se fit entendre. Les rangs des deux troupes furent aussitôt confondus ; les villageois se mêlèrent aux soldats ; pendant quelques instants toute cette foule ne forma qu’un seul groupe où Napoléon se trouvait enfermé. Ce retour, a-t-on dit, fut le résultat d’un complot. Où donc, en ce moment, étaient les conspirateurs ? L’Empereur