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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/298

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— 1815 —

Royale la permission de ne pas lui obéir ; les conséquences d’une pareille démarche peuvent être funestes. — Je les prends toutes sur moi. — Mais Madame connaît-elle les bruits qui courent ce matin sur une distribution de cartouches ? ajouta un des généraux présents. — Pas un mot de plus, répliqua la duchesse ; je ne force personne à me suivre... Qu’on exécute mes ordres. »

À deux heures, la princesse partit pour cette inspection ; elle était en calèche découverte ; le général Decaen se tenait à cheval à la portière. Arrivée à la caserne Saint-Raphaël, elle mit pied à terre et passa deux fois dans les rangs sans qu’un mot, un seul cri, vinssent rompre le profond silence que gardait cette masse d’hommes armés. Se plaçant alors sur le front de bataille, elle annonça l’intention de parler aux officiers ; tous s’avancèrent et formèrent le cercle autour d’elle : « Bordeaux est menacé, leur dit la duchesse ; la garde nationale est déterminée à défendre la ville : êtes-vous décidés à la seconder ? » Aucune voix ne répondit. « Je vous demande, reprit la duchesse en élevant la voix et avec un accent impérieux, si l’on peut compter sur vous ? — Votre Altesse Royale, dit alors un chef de bataillon, peut compter sur nous pour veiller à sa sûreté et à la défense de sa personne. — Il ne s’agit pas de moi, mais du service du roi, répliqua la princesse avec véhémence ; voulez-vous, oui ou non, le servir ? — Nous obéirons à nos chefs dans tout ce qu’ils nous commanderont pour la patrie ; mais nous ne voulons pas de guerre civile ; jamais nous ne nous battrons contre nos frères, dirent quelques officiers. — Vos frères, des révoltés !... » s’écria la duchesse, emportée par ces tristes préjugés qui font que les personnes de race royale voient dans la guerre civile une lutte louable et sainte quand il s’agit de défendre leur prérogative. « Vous avez bien vite oublié vos serments ! ajouta-t-elle avec quelque hauteur. S’il existe encore parmi vous des hommes qui s’en souviennent, qu’ils sortent des rangs, qu’ils se montrent ! »