Page:Vauvenargues - Œuvres posthumes éd. Gilbert.djvu/260

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` 244 CORRESPONDANCE. Racine n’est pas sans défauts : quel homme en fut jamais exempt? mais qui donna, jamais, au theatre plus de pompe et de dignité ? qui éleva plus haut la parole, et y versa plus de douceur? Quelle facilité, quelle abondance , quelle poésie, quelles images, quel sublime dans Athaliel quel art dans tout ce qu’il a fait! quels caracteresl Et n’est—ce pas encore une chose admirable qu’il ait su meler aux pas- sions, et a toute la véhémence et a la naiveté du sentiment, tout l’or de Yimagination? En un mot, il me semble aussi supérieur a Corneille par la poésie et le genie, que par l’esprit, le gout et la délicatesse. Mais l’esprit, principale- ment, a manqué a Corneille; et, lorsque je compare ses préceptes et ses longs `raisonnements aux froides et pesantes moralités de Rousseau dans ses Epttrcs, je ne trouve ni plus de penetration , ni plus d’étendue d’esprit a l’un qu'a l’autre. Cependant, les ouvrages de Corneille sont en possession d’une admiration bien constante, et cela ne me surprend pas. Y a-t-il rien qui se soutienne davantage que la pas- sion des romans? ll y en a qu’on ne relit guere, j’en con- viens; mais on court tous les ouvrages qui paraissent dans le meme genre, et l’on ne s’en rebute point. L’inconstance du public n’est qu’a l’égard des auteurs, mais son gout est coustamment faux. Or, la cause de cette contrariété appa- · rente, c’est que les habiles ramenent le jugement du pu- blic; mais ils ne peuvent pas de meme corriger son godt, parce que Palme a ses inclinations indépendantes de ses opinions. Ce qu’elle ne sent pas d’abord, elle ne le sent point par degrés, comme elle fait en jugeant; et voila ce qui fait que l’on voit des ouvrages que le public critique apres les maitres, qui ne lui en plaisent pas moins, parce que le public ne les critique que par rétlexion, et les goute par sentiment'. - • Voir un passage semblable dans le i2° chap. do Plnlroduclion ei la Cou- naigancc de l’E:prif humain. —· Voir aussi la 7* Ri/lcdon (Des mmans).