Il me paraît inutile de regagner ma place à l’intérieur du wagon, je reste sur la plate-forme. Impossible de rien voir ni à gauche ni à droite du railway. L’oasis de Samarkande a été franchie déjà, et c’est à la surface d’une longue plaine horizontale que se développe actuellement la voie ferrée. Plusieurs heures s’écouleront avant que le train rencontre le Syr-Daria, dont le passage a nécessité l’établissement d’un pont semblable à celui de l’Amou-Daria, mais de moindre importance.
Il est à peu près onze heures et demie, lorsque je me décide à ouvrir la porte du fourgon, que je referme derrière moi.
Je n’ignorais pas que le jeune Roumain n’était pas toujours enfermé dans sa boîte, et il pouvait se faire qu’en ce moment la fantaisie lui eût pris de se dégourdir les jambes en se promenant d’un bout à l’autre du fourgon…
L’obscurité est complète. Aucun jet de lumière ne filtre par les trous de la caisse. Cela me semble préférable. Mieux vaut que mon numéro 11 ne soit pas surpris par une trop brusque apparition. Il dort sans doute… Je frapperai deux petits coups au panneau, je le réveillerai, et nous nous serons expliqués avant qu’il ait pu faire un mouvement. Cela ira tout seul.
Je marche en tâtonnant. Ma main rencontre la caisse, j’appuie mon oreille sur sa paroi antérieure, et j’écoute.
Pas un remuement, pas un souffle ! Est-ce que mon homme n’est plus là ?… Est-ce qu’il a pris le parti de s’évader ?… Est-ce qu’il est descendu à l’une des gares, sans que je m’en sois aperçu ?… Est-ce que ma chronique s’est échappée avec lui ?… En vérité, je suis d’une inquiétude…
J’écoute attentivement…
Non ! il n’a pas pris la fuite… Il est blotti entre les parois de la boîte… J’entends distinctement sa respiration, régulière et prolongée… Il dort… il dort du sommeil de l’innocent, lui qui n’aurait droit qu’au sommeil du coupable, ce fraudeur de la Compagnie du Grand-Transasiatique !