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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/431

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EN QUARANTAINE.

voir retenus de longs jours loin de leurs familles et de leur pays.

Les passagers étaient atterrés. Combien de semaines leur faudrait-il demeurer dans cette île maudite ?

Toutefois, puisqu’il n’y avait pas moyen de faire autrement, il fallut bien s’accommoder de cette situation. Il n’y avait qu’à attendre ; on attendit, chacun tuant le temps à sa manière.

Les uns, comme Johnson et Piperboom, avaient simplement repris leur vie habituelle, et paraissaient enchantés. Un restaurant pour l’un, un cabaret pour l’autre, suffisaient à leur bonheur. Or, ni les cabarets, ni les restaurants ne manquaient à La Praya.

Leurs compagnons ne trouvaient pas les mêmes agréments à la prison que le caprice du sort leur imposait. Absolument anéantis, hypnotisés par la terreur de la contagion, ils restaient, pour la plupart, nuit et jour dans leurs chambres, sans oser même ouvrir les fenêtres. Ces précautions semblaient leur réussir. Au bout de huit jours, nul d’entre eux n’avait été frappé. En revanche, ils mouraient d’ennui, et ils aspiraient après une délivrance que rien encore ne faisait pressentir.

D’autres étaient plus énergiques. Ceux-ci, ignorant de parti pris la malencontreuse épidémie, vivaient sans en tenir le moindre compte. Parmi ces courageux, figuraient les deux Français et leurs amies américaines. Ils jugeaient avec raison la peur plus à craindre que le mal. En compagnie de Baker, qui souhaitait peut-être au fond du cœur d’être bel et bien malade, afin d’avoir un nouveau prétexte à récriminer contre son rival, ils sortaient, allant et venant, comme ils l’eussent fait à Londres ou à Paris.

Depuis l’arrivée à São-Thiago, à peine s’ils avaient aperçu Jack Lindsay, qui, plus que jamais, persistait dans sa vie effacée et solitaire. Alice, absorbée par d’autres soucis, ne songeait guère à son beau-frère. Si parfois l’image s’en évoquait, elle la chassait aussitôt, moins irritée déjà, bientôt prête à l’oubli. L’aventure du Curral das Freias pâlissait dans le recul des jours, perdait de son importance. Quant à un retour de méchan-