Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/103

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On sourit discrètement, Amédée Florence, en bon ironiste, répondit sans broncher :

— Nous parlerons après vous, monsieur le président.

— Comme il vous plaira, accorda Barsac, nullement surpris du titre qui lui était décerné.

Précisons d’abord la situation. Nous nous voyons abandonnés par notre escorte, mais bien munis d’armes et d’objets d’échange, en plein Soudan, à une grande distance de la côte…

À ces mots, M. Poncin tira de sa poche son vaste carnet, posa un binocle sur les ailes de son nez, et, lui qui ne parlait jamais, il dit :

— Exactement à mille quatre cent huit kilomètres, cinq cent quatre-vingt-trois mètres et dix-sept centimètres, détours compris, en comptant du piquet central de ma tente.

— Une pareille précision est inutile, monsieur Poncin, fit observer Barsac. Il suffit de dire que nous sommes à quatorze cents kilomètres environ de Conakry. Comme vous ne l’ignorez pas, notre intention était d’aller beaucoup plus loin encore, mais à situation nouvelle convient peut-être solution nouvelle. À mon sens, nous devons avoir pour objectif de gagner, sinon le plus rapidement, du moins le plus sûrement possible, une agglomération possédant un poste français. Là, nous aviserons, et nous examinerons en toute tranquillité ce qu’il y a lieu de faire.

L’approbation fut unanime.

— L’examen de la carte, reprit Barsac, nous montre que nous devons nous efforcer d’atteindre le Niger en un point quelconque de son cours. Ne serait-il pas possible d’aller jusqu’à Saye, par Ouagadougou et Nadiango ? Depuis la prise de Tombouctou, les postes français n’ont cessé de gagner vers l’aval. J’ignore, je l’avoue, s’ils sont arrivés dès maintenant à Saye, mais cela est possible, je dirai même probable. Dans le cas où nous réussirons à nous assurer ultérieurement une autre escorte, cette combinaison aurait l’avantage de respecter le programme qui m’a été tracé.

— Mais elle aurait l’inconvénient, monsieur le président, s’écria avec impétuosité M. Poncin, tout en traçant fiévreusement des chiffres sur son carnet, de nous imposer un parcours de huit cents kilomètres. Or, nos pas, je m’en suis assuré, sont de soixante-douze centimètres, en moyenne. Huit cents kilomètres font donc un million cent onze mille cent onze pas et une fraction. Négligeons la fraction. Nous faisons à l’heure, en moyenne, cinq mille cent quarante-trois pas et une fraction.

Négligeons la fraction. Mais il y a les arrêts qui s’élèvent, par heure, je l’ai vérifié, à une moyenne de dix-huit minutes quatre secondes. Reste deux mille cinq cent vingt secondes, soit trois mille six cents pas et un dixième. Ce parcours de huit cents kilomètres exigera donc un million cent onze mille cent onze pas, divisés par trois mille six cent et un dixième, soit trois cent huit heures et vingt-deux mille huit cent deux, trente-six mille unièmes d’heure. Cela représente en tout un million cent onze mille six cent quatre-vingts secondes et une fraction. Négligeons la fraction. Or, nous marchons effectivement, en moyenne, cinq heures quarante-cinq minutes et douze secondes par jour, tous arrêts déduits, soit vingt mille sept cent douze secondes. Il faudra donc, pour franchir huit cents kilomètres, un million cent onze mille six cent quatre-vingts secondes divisées par vingt mille sept cent douze, ce qui nous donne cinquante-trois jours et treize millions neuf cent quatre-vingt mille sept cents douzièmes de jour. Pour apprécier la valeur de cette dernière fraction, il faut la réduire à son tour en heures, minutes et secondes. On obtient alors…