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— Bah ! fit Amédée Florence, avec une insouciance voulue, nous le traverserons malgré eux, ce désert. C’est à peine s’il y a cent cinquante kilomètres d’ici à Koubo. Ce n’est pas la mer à boire, après tout. Puisque les bouchers et les épiciers sont en grève, la chasse nous fournira nos biftecks.

À l’exception de M. Poncin, tout à fait incapable de manier un fusil, on suivit aussitôt cet excellent conseil. Malheureusement, les hautes herbes arrêtaient trop souvent la vue, et la contrée n’était pas très giboyeuse. De toute la journée, on n’eut qu’une outarde, deux pintades et deux perdrix au tableau. Pour nourrir quatorze personnes, c’était à peine l’indispensable minimum.

À l’étape du soir, Amédée Florence et le docteur Châtonnay constatèrent pour la seconde fois que l’endroit où l’on s’arrêtait avait antérieurement reçu la visite d’autres voyageurs. Les herbes paraissaient même plus récemment froissées, comme si l’avance de ceux-ci eût diminué.

Pendant qu’on échangeait des réflexions à ce sujet, Tongané, préposé à ce moment à la surveillance des chevaux, appela ses maîtres tout à coup. Deux des animaux venaient de tomber, comme étaient tombés les trois premiers. Comme ceux-ci, ils agonisèrent sans qu’il fût possible de les secourir, et moururent après une heure de souffrance.

Deux chevaux restaient encore, mais on ne devait pas garder longtemps ces deux animaux, qui succombèrent à leur tour pendant la journée du 10 mars.

Les porteurs engagés à Kadou furent-ils effrayés par ces décès successifs ? Plus simplement, la chasse n’ayant, au cours de la journée du 10, produit qu’un résultat dérisoire, redoutèrent-ils de souffrir de la faim ? Quoi qu’il en soit, ils disparurent dans la nuit du 10 au 11, et, le matin venu, les six Européens, Tongané et Malik, se réveillèrent sans porteurs, sans chevaux et sans vivres.

Ils éprouvèrent alors un moment de découragement bien naturel, qu’eût, d’ailleurs, suffi à expliquer la faiblesse qu’ils commençaient à ressentir. La plus accablée était Jane Buxton, qui se reprochait d’avoir entraîné ses compagnons dans ce déplorable voyage et se sentait responsable de leur misère. Elle s’accusait et sollicitait leur pardon.

Amédée Florence comprit la nécessité de réagir contre la dépression générale.

— Que de paroles inutiles ! s’écria-t-il en s’adressant à Jane Buxton avec une affectueuse brutalité. Nous ne sommes pas encore morts, je suppose. Que la chasse n’ait pas été très bonne ces jours-ci, la belle affaire ! Elle sera meilleure demain, voilà tout.

— N’oublions pas, fit observer le docteur Châtonnay venant au secours du reporter, que nos nègres, en nous laissant en plan, nous ont, du même coup, débarrassés de leurs six estomacs.

— C’est tout bénéfice, conclut Florence. S’ils n’étaient pas partis, j’allais vous pro-