Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/139

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de leur usage, qui ne ressemblent à rien que j’aie jamais vu. Figurez-vous une assez vaste plate-forme reposant sur deux larges patins recourbés à l’une de leurs extrémités. De la plate-forme s’élève un pylône en treillis métallique haut de quatre à cinq mètres, qui porte, en son milieu, une grande hélice à deux branches, et, à son sommet, deux… (Allons ! voilà que ça recommence. Impossible de trouver les mots convenables) deux… bras, deux… plans… non, je tiens le mot, car l’objet en question ressemble beaucoup à un héron colossal perché sur une patte, deux ailes, c’est bien cela, deux ailes en métal brillant, d’une envergure totale de six mètres environ. Vérification faite, il y a dix mécaniques conformes à cette description rangées en bataille l’une à côté de l’autre. À quoi cela peut-il bien servir ?

Quand je suis rassasié de ce spectacle incompréhensible, je m’aperçois que la société qui m’entoure est assez nombreuse.

Il y a, d’abord, l’ex-lieutenant Lacour, récemment promu au grade de capitaine Rufus, les deux anciens sergents de notre seconde escorte, dont j’ignore la véritable dignité, leurs vingt tirailleurs noirs, dont je reconnais parfaitement la plupart, et enfin dix Blancs que je n’ai jamais vus, à figures plutôt patibulaires. Si la société est nombreuse, elle ne me paraît pas très choisie.

Au milieu de ces gens-là sont mes compagnons. Je les compte des yeux. Ils y sont tous. Miss Buxton est étendue sur le sol. Elle est livide. Le docteur Châtonnay et Malik, qui pleure à chaudes larmes, lui prodiguent leurs soins. Près d’elle, j’aperçois Saint-Bérain, assis par terre, qui reprend péniblement sa respiration. Il est dans un état pitoyable. Son crâne dénudé est d’un rouge brique, et ses gros yeux semblent près de jaillir de leurs orbites. Pauvre Saint-Bérain !

M. Barsac et M. Poncin me paraissent en meilleure condition. Ils sont debout et font jouer leurs articulations. Pourquoi ne ferais-je pas comme eux ?

Mais je ne vois nulle part Tongané. Où peut-il être ? Aurait-il été tué au cours de l’attaque que nous avons subie ? Ce n’est que trop probable, et c’est peut-être pour cela que Malik sanglote si fort. J’éprouve un chagrin réel à cette pensée, et je donne un souvenir attendri au brave et fidèle Tongané.

Je me lève, et me dirige vers miss Buxton, sans que personne me dise rien. Mes jambes sont raides et je n’avance pas vite. Le capitaine Rufus me devance.

— Comment va Mlle Mornas ? demande-t-il au docteur Châtonnay.

Au fait ! c’est vrai, l’ex-lieutenant Lacour ne connaît notre compagne que sous son nom d’emprunt.

— Mieux, dit le docteur. La voici qui rouvre les yeux.

— Pouvons-nous partir ? interroge le soi-disant capitaine.

— Pas avant une heure, déclare d’un ton ferme le docteur Châtonnay, et encore, si vous ne voulez pas nous tuer tous, je vous conseille d’adopter des moyens moins barbares que ceux employés jusqu’ici.

Le capitaine Rufus ne répond pas et s’éloigne. Je m’approche à mon tour, et constate que miss Buxton revient à elle, en effet. Bientôt, elle peut se redresser, et le docteur Châtonnay, qui était agenouillé auprès d’elle, se relève. À ce moment, M. Barsac et M. Poncin viennent nous rejoindre. Nous sommes au complet.

— Mes amis, pardonnez-moi ! nous dit tout à coup miss Buxton, tandis que de grosses larmes s’échappent de ses yeux. C’est moi qui vous ai entraînés dans cette effroyable aventure. Sans moi, vous seriez en sûreté maintenant…