Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/140

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Nous protestons, comme bien on pense, mais miss Buxton continue à s’accuser et à nous demander pardon. Moi, qui n’ai pas la fibre de l’attendrissement très développée, j’estime que ce sont là des paroles inutiles, et je crois opportun de faire dévier la conversation.

Puisque miss Buxton n’est connue que sous le nom de Mornas, je suggère qu’il serait meilleur de lui laisser son pseudonyme. Est-il impossible, en effet, qu’il y ait des anciens subordonnés de son frère parmi les gredins qui nous entourent ? À quoi bon, dans ce cas, risquer de courir un danger supplémentaire, quel qu’il soit ? On approuve à l’unanimité. Il est convenu que miss Buxton redevient Mlle Mornas, comme devant.

Il était temps d’arriver à cette conclusion, car notre conversation est brusquement interrompue. Sur un ordre bref du capitaine Rufus, on s’empare brutalement de nous. Trois hommes s’occupent spécialement de ma modeste personne. Je suis ficelé de neuf et l’abominable sac me sépare de nouveau du monde extérieur. Avant d’être tout à fait aveugle, je constate que mes compagnons, y compris miss Buxton — pardon ! Mlle Mornas — subissent le même traitement. Puis, comme tout à l’heure, on m’emporte… Vais-je donc recommencer la petite partie d’équitation à la manière de Mazeppa ?

Non. On me dépose à plat ventre sur une surface dure, mais plane, qui ne rappelle en rien l’échine d’un cheval. Quelques minutes s’écoulent, et j’entends comme un violent battement d’ailes, tandis que la surface qui me porte se met à osciller faiblement dans tous les sens. Cela dure un instant, puis, tout à coup, c’est assourdissant, le fameux bourdonnement, mais quintuplé, décuplé, centuplé, et voici que le vent me frappe avec une violence extraordinaire qui s’accroît de seconde en seconde. En même temps, j’éprouve une impression… comment dirai-je ?… une impression d’ascenseur, ou, plus exactement, de montagnes russes, quand le chariot monte et descend leurs collines artificielles, quand on a la respiration coupée, le coeur étreint d’une angoisse invincible… Oui, c’est bien cela, c’est quelque chose de ce genre que j’éprouve.

Cette sensation persiste cinq minutes peut-être, puis mon organisme retrouve peu à peu son équilibre habituel. Alors, l’avouerai-je, la tête enfouie dans ce maudit sac, privé d’air et de lumière, bercé par ce ronronnement devenu régulier, je crois que je glisse sur la pente du sommeil…

Une surprise me réveille brusquement. Une de mes mains a bougé. Oui, mes liens mal rattachés se sont desserrés, et, dans un effort inconscient, mes mains ont pu s’écarter l’une de l’autre.