Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ivre, s’abandonnait, elle avait eu, plus d’une fois, le désir de lui dérober la clé de la porte par laquelle il disparaissait chaque après-midi, et d’aller voir ce qu’il y avait derrière cette porte. Jusque-là, cependant, le courage lui avait manqué, et elle avait résisté à ce désir, dont la satisfaction pouvait avoir de graves conséquences.

Cinq jours se passèrent de cette façon, et on parvint au 8 avril.

Ce jour-là, un peu après neuf heures du soir, les prisonniers, y compris Malik, réunis sur la plate-forme du bastion, s’enquéraient auprès de Jane Buxton des péripéties de la journée, qui s’était, d’ailleurs, déroulée comme les précédentes. À l’étage en dessous, Tchoumouki achevait son service, avant de s’en aller jusqu’au lendemain.

De lourds nuages, qui ne tarderaient pas, selon toute vraisemblance, à se résoudre en pluie, rendaient la nuit fort obscure, bien que la lune ne fût pas encore dans son dernier quartier. Sur la plate-forme, où n’atteignaient pas les lumières de l’autre rive de la Red River, régnaient de profondes ténèbres.

Tout à coup, quelque chose tomba sur les dalles et fit un bruit sec en les heurtant. Les prisonniers surpris interrompirent aussitôt leur conversation. D’où leur arrivait et quel pouvait être cet objet que leurs yeux ne distinguaient même pas ?

Amédée Florence fut le premier à reprendre son sang-froid. En quelques instants, il découvrit le mystérieux projectile. C’était un caillou de forte taille, auquel était attachée une ficelle, dont l’autre extrémité, passant par-dessus le parapet, devait plonger dans la Red River.

Que signifiait cet incident ? Ne cachait-il pas quelque piège, ou bien les prisonniers auraient-ils, dans Blackland, un ami inconnu qui leur faisait tenir un message ? Pour le savoir, il n’y avait qu’à remonter la ficelle, à l’extrémité de laquelle un billet serait, dans ce cas, attaché. Amédée Florence se mit sans plus attendre en devoir de haler cette ficelle, mais il dut se faire aider par le docteur Châtonnay. Trop fine, elle lui glissait entre les doigts, en raison du poids qu’elle supportait. Il ne pouvait donc être question d’un simple billet.

On en eut bientôt le bout, auquel était attachée une corde beaucoup plus grosse. Ainsi qu’on l’avait fait pour la ficelle, on hala sur cette corde. Quand on en eut remonté trente ou trente-cinq mètres sans difficulté, on éprouva une résistance, non pas ferme, comme cela se fût produit si la corde eût été amarrée à un objet fixe, mais élastique, telle qu’en aurait pu produire un homme tirant sur son extrémité inférieure. Pendant quelques instants, on se trouva fort embarrassé. Que fallait-il faire ?

— Attachons la corde, proposa Amédée Florence. Nous verrons bien si c’est cela que désire celui qui nous l’envoie.

Ainsi fut-il fait.

Aussitôt la corde se tendit. Quelqu’un y grimpait certainement, que les prisonniers, penchés sur le parapet, s’efforçaient d’apercevoir. Bientôt, ils distinguèrent en effet une forme humaine qui s’élevait rapidement le long de la muraille.

Le visiteur inconnu acheva son ascension. Un instant plus tard, il escaladait le parapet et retombait au milieu des prisonniers stupéfaits.

— Tongané !… s’exclamèrent-ils en étouffant leurs voix.