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V

nouvelle prison


Non seulement Tongané n’était pas mort, mais, ainsi qu’il l’expliqua plus tard, il n’avait même pas été blessé, lors de la surprise de Koubo. Les rayons des projecteurs ne l’ayant pas atteint, il avait pu se glisser inaperçu sous le couvert des arbres, et les assaillants ne s’étaient pas occupés de lui.

En agissant ainsi, Tongané n’avait jamais eu l’intention d’abandonner ses maîtres, et cela d’autant moins que Malik était avec eux. Il n’avait en vue que de leur venir en aide, au contraire, mais il avait justement pensé qu’il serait mieux à même de le faire, s’il conservait sa liberté.

Loin de prendre la fuite, il s’était attaché aux ravisseurs. Il les avait rejoints à la piste, puis, au prix de privations sans nombre pendant la traversée du désert, il avait suivi pas à pas ceux d’entre eux qui emmenaient Malik à Blackland, ne vivant guère que des miettes qu’il ramassait aux endroits où ils avaient fait halte avant lui. À pied, il avait marché aussi vite que leurs chevaux, et quotidiennement abattu une cinquantaine de kilomètres.

Il ne s’était laissé volontairement distancer qu’aux approches immédiats de Blackland. Dès qu’on avait pénétré dans une campagne cultivée, il s’était arrêté, et avait attendu la nuit pour se risquer sur ce territoire inconnu. Jusqu’au matin, il s’était caché dans un buisson touffu. Se mêlant alors à la foule des nègres, comme eux il avait travaillé la terre, comme eux il avait reçu les coups de trique dont les gardiens n’étaient pas avares, et, le soir, il était rentré avec eux dans le quartier central, sans que personne fît attention à lui.

Quelques jours s’étaient passés ainsi, pendant lesquels il avait dérobé cette corde dans une case déserte. Muni de son butin, il avait réussi, en suivant le Civil Body, à gagner la rivière, où, pendant deux longues journées, il s’était dissimulé sous la voûte d’un égout, en guettant l’occasion favorable.

Pendant ces deux jours, il avait vu, chaque soir, les prisonniers aller et venir sur la plate-forme du bastion, mais il s’était vainement efforcé d’attirer leur attention. L’occasion attendue ne s’était présentée que le troisième jour, le 8 avril. De gros nuages rendant la nuit très obscure, il en avait profité pour sortir de sa cachette et pour lancer à ses maîtres la corde dont il s’était ensuite servi pour arriver jusqu’à eux.

Comme on peut le penser, ces explications ne furent données que plus tard. Sur le moment, Tongané se contenta de suggérer que tout le monde pourrait sans doute s’enfuir par le même chemin que lui-même avait suivi pour venir. En bas, on trouverait un bateau dont il était parvenu à s’emparer, et on n’aurait plus ensuite qu’à descendre la Red River.

Ce projet fut adopté sans discussion, il est inutile de le dire. Avec quatre hommes