Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/183

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Comme pour chasser une pensée importune, Camaret se passa la main sur le front et entra silencieusement dans la salle suivante.

— Ici, dit-il, d’une voix que l’émotion altérait encore, sont les compresseurs. Nous employons beaucoup, en effet, l’air et d’autres gaz à l’état liquide. Ainsi que vous le savez, tous les gaz sont liquéfiables, pourvu qu’on les comprime et qu’on abaisse leur température d’une manière suffisante, mais, dès qu’on abandonne à eux-mêmes les liquides obtenus, ils se réchauffent et retournent plus ou moins vite à l’état gazeux. S’ils étaient alors contenus dans un récipient clos, les parois de celui-ci auraient bientôt à subir une pression telle qu’il volerait en éclats. Une de mes inventions a changé cela. J’ai, en effet, découvert une substance absolument anti-diathermane, c’est-à-dire, absolument imperméable aux rayons calorifiques. Il en résulte qu’un gaz liquéfié, l’air, par exemple, introduit dans les récipients fabriqués avec cette substance, conserve toujours la même température et reste, par conséquent, à l’état liquide, sans aucune tendance à l’éclatement. Cette invention m’a permis d’en réaliser plusieurs autres, et notamment celle des planeurs à grand rayon d’action que vous connaissez.

— Si nous les connaissons !… s’exclama Amédée Florence. Dites que nous les connaissons trop ! Ils sont donc aussi de vous, ces planeurs ?

— Et de qui voudriez-vous qu’ils fussent ? répliqua Camaret, soudainement atteint d’un nouvel accès de son maladif orgueil.

À mesure qu’il parlait, son émotion s’était dissipée peu à peu. Il n’en restait plus trace maintenant, et c’est tout entier à son sujet qu’il reprit :

— Mes planeurs ont trois particularités principales, relatives à la stabilité, au départ et à la force motrice, dont je vous donnerai une idée en peu de mots. Commençons par la stabilité.

Quand un oiseau subit la poussée d’une brusque rafale, il n’a pas besoin de calculer pour retrouver son équilibre. Son système nerveux, ou plutôt la partie de ce système nerveux qui constitue ce qu’on appelle les réflexes en physiologie, travaille et le redresse d’une manière tout instinctive. Afin que la stabilité de mes oiseaux mécaniques fût automatique, j’ai voulu les doter d’un pareil système de réflexes. Puisque vous les avez vus, vous savez qu’ils sont constitués par deux ailes placées au sommet d’un pylône haut de cinq mètres, à la base duquel est la plateforme qui supporte le moteur, le conducteur et les passagers. Il résulte déjà de cette disposition un notable abaissement du centre de gravité. Mais le pylône n’est nullement fixe relativement aux ailes. À moins qu’on ne l’immobilise, en totalité ou en partie, par la manœuvre de l’un des gouvernails de direction et de profondeur, il peut, au contraire, décrire de petits arcs dans tous les sens autour de la verticale. Si donc les ailes, hors de l’action d’un gouvernail, s’inclinent latéralement et longitudinalement,