Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/26

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Possesseur d’une jolie fortune héritée de ses parents, morts tous les deux, et par conséquent indépendant, il avait quitté la France à la première nouvelle du drame qui frappait son grand-père, et s’était installé dans une villa voisine du château de Glenor, où il passait, d’ailleurs, la majeure partie de son temps.

À sa villa attenait un jardin traversé par un cours d’eau, dans lequel Agénor plongeait ses lignes avec une ardeur aussi vive qu’inexplicable. Pourquoi mettre tant de passion à cet exercice, en effet, puisqu’il pensait régulièrement à autre chose et que tous les poissons du monde eussent pu « mordre » sans qu’il s’aperçût de la danse du bouchon ? Et quand bien même, au surplus, un barbillon, une ablette ou un goujon, plus entêté encore qu’il n’était distrait, serait venu se ferrer de lui-même, à quoi cela eût-il avancé le sensible Agénor, qui se fût empressé sans aucun doute de rejeter la bestiole à l’eau, peut-être même en lui adressant des excuses ?

Un brave garçon, nous l’avons dit. Et quel célibataire endurci ! À qui voulait l’entendre, il affirmait son mépris pour les femmes. Il leur prêtait tous les défauts, tous les vices. « Trompeuses, perfides, menteuses, prodigues », proclamait-il d’ordinaire, sans préjudice d’autres épithètes insultantes dont il n’était jamais à court.

Quand on lui conseillait de se marier :

— Moi ! s’écriait-il, m’unir à l’un de ces êtres infidèles et volages !…

Et, si l’on insistait :

— Je ne croirai à l’amour d’une femme, déclarait-il sérieusement, que lorsque je l’aurai vue mourir de désespoir sur ma tombe.

Cette condition étant irréalisable, il était à parier qu’Agénor resterait garçon.

L’éloignement qu’il manifestait pour le beau sexe souffrait cependant une exception. La privilégiée était Jane Buxton, la dernière des enfants de lord Glenor, la tante d’Agénor, par conséquent, mais une tante de quinze à vingt ans plus jeune que lui, une tante qu’il avait connue toute petite, dont il avait guidé les premiers pas et dont il