Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/62

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Mais, tandis que nous nous promenons à travers Kankan sous leur direction, voilà que Moriliré et Tchoumouki s’arrêtent à deux pas d’une case, qui d’ailleurs n’offre rien de particulier. Par un hasard que je les soupçonne fort d’avoir aidé, il paraît que nous sommes précisément devant la demeure du fameux kéniélala qu’ils nous ont tant vanté. De nouveau, ils nous conseillent de lui rendre visite. De nouveau, nous refusons. Mais ils ne se tiennent pas pour battus et ils recommencent imperturbablement l’éloge du vénérable sorcier.

Qu’est-ce que ça peut bien faire à Moriliré ou à son camarade Tchoumouki que nous allions chez leur kéniélala ? Les moeurs du pays seraient-elles à ce point policées que nos deux gaillards eussent une « commission » sur la recette de leur phénomène, et seraient-ils chargés de lui racoler des clients, comme les gondoliers de Venise en racolent pour les fabricants de verrerie et de dentelle ? Voilà qui donnerait raison à M. Barsac !

Les deux compères ne se découragent pas. Ils insistent, insistent tellement que nous cédons, ne serait-ce que pour avoir la paix. Après tout, nous pouvons bien leur faire ce plaisir, et s’ils y gagnent quelques cauries, tant mieux pour eux.

Nous entrons dans une case d’une abominable saleté, et où ne pénètre qu’une lumière très atténuée. Le kéniélala est debout au milieu de la pièce. Après s’être tapé pendant cinq minutes sur la cuisse en nous disant Ini-tili, ce qui veut dire « bon midi » — il est cette heure-là, en effet — il s’accroupit sur une natte et nous invite à l’imiter.

Il commence par faire devant lui un tas de sable très fin, qu’il étale, d’un seul coup, en éventail, à l’aide d’un petit balai. Il nous demande ensuite une douzaine de noix de kola, moitié rouges, moitié blanches, qu’il fait passer vivement au-dessus du sable en marmottant des paroles incompréhensibles, puis, rangeant les fruits sur le sable suivant diverses figures, cercles, carrés, losanges, rectangles, triangles, etc., il fait des signes bizarres au-dessus d’eux comme pour les bénir. Enfin, il les ramasse précieusement, et tend sa main sale dans laquelle nous déposons le prix de la consultation.

Nous n’avons plus qu’à l’interroger. Il est inspiré. Il parlera.

Nous lui posons, à tour de rôle, quelques questions, qu’il écoute en silence. Il donnera toutes les réponses à la fois, nous annonce-t-il. Quand nous avons fini de parler, il parle aussitôt à son tour, avec une grande volubilité, très vivement, en homme sûr de ce qu’il avance. Pas gaies, les prédictions de notre magicien ! Si nous avions la foi — qui nous manque heureusement — nous sortirions de son officine pleins de soucis et d’inquiétudes.