Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/84

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ciles, et n’étaient les éternels passages de rivières, rarement sur des ponts de bois aux trois quarts rompus, plus souvent au moyen de gués qui ne sont pas toujours très guéables et où les caïmans sont loin d’être rares, nous n’aurions à lutter contre aucune difficulté matérielle.

11 février. — De bonne heure ce matin, nous sommes au milieu de champs cultivés, ce qui indique la proximité d’un village. Ces champs seraient assez bien entretenus, si une grande partie d’entre eux n’étaient pas dévastés par les termites qui sont de terribles destructeurs.

Ces insectes bâtissent des termitières en forme de champignons, parfois de la hauteur d’un homme, qu’ils évacuent, au commencement de l’hiver, sous forme de fourmis ailées. Les villages en sont alors infestés. Mais l’homme ne perd aucune occasion de se distraire un peu. L’apparition de ces fourmis ailées est le signal de fêtes et d’orgies sans nom. On allume partout des feux, où les fourmis viennent se brûler les ailes. Les femmes et les enfants les ramassent et les font frire au beurre de cé. Or, ce n’est pas tout de manger, il faut boire. C’est pourquoi, le soir venu, tout le village est ivre.

Vers huit heures, nous apercevons celui que nous annonçaient les cultures. Il s’appelle Bama. Au moment où nous en approchons, nous rencontrons une procession de dou, en train de parcourir les lougans pour en chasser les mauvais esprits et demander la pluie. Ces dou sont des individus vêtus de blouses sur lesquelles on a cousu des brins de chanvre et des fibres de palmier. Leur tête est entièrement recouverte d’un bonnet de chanvre avec deux trous pour les yeux et surmontée d’un cimier en bois rouge ou d’un bec d’oiseau de proie.

Ils marchent en dansant, suivis de badauds et de gamins qu’ils ne se gênent pas pour frapper de leurs bâtons « sacrés ». Lorsqu’ils passent devant une case, on les gorge de dolo (bière de mil) et de vin de palme. C’est assez dire qu’après une heure de promenade, ils sont ivres morts.

Une demi-heure plus tard, nous arrivons à Bama. D’un air hypocrite, Tchoumouki expose alors au capitaine Marcenay que les nègres sont trop fatigués, qu’ils se refusent à faire une autre étape et qu’ils demandent à rester à Bama toute la journée. Le capitaine ne bronche pas, et, malgré les signes de réprobation que Tongané multiplie derrière le dos de son camarade, il prend un air étonné et répond que la demande est inutile, puisqu’il était déjà décidé qu’on ferait une longue halte ce jour-là. Tchoumouki se retire interloqué, tandis que Tongané lève les bras au ciel et exprime à Malik son indignation.

Nous profitons de cet arrêt imprévu pour aller visiter le village, et bien nous en prend, car il est différent de ceux que nous avons déjà vus jusqu’ici.

Pour y entrer, on nous fait d’abord monter sur le toit d’une case, et on nous conduit ainsi de toit en toit, jusqu’à celle du dougoutigui.

Ce dougoutigui est un vieux nègre à fortes moustaches, et ressemble à un ancien sous-officier de tirailleurs. Il fume une longue pipe de cuivre, dont le feu est entretenu par un affreux petit négrillon.

Il nous reçoit avec beaucoup de cordialité, et nous offre du dolo. Pour ne pas être en reste de politesse, nous lui faisons quelques menus présents qui le comblent de joie, puis, ces rites accomplis, nous nous promenons en touristes.

Sur la place, un barbier ambulant opère en plein air. Près de lui, des gamins, pédicures et manucures, rognent à l’aide de vieux ciseaux, les ongles des pieds et des mains. Quatre cauries par tête, tel est le prix de leurs services, mais ils doivent rendre aux clients les rognures d’ongles, que