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LA CHASSE AU MÉTÉORE

gros yeux saillants qui exprimaient, selon l’heure et la minute, la plus merveilleuse intelligence ou la plus épaisse stupidité.

Au moral, il ne tranchait pas avec moins de violence sur la banalité de ses contemporains.

Réfractaire à tout enseignement régulier, il avait, dès le plus jeune âge, décrété qu’il s’instruirait tout seul, et ses parents s’étaient vus contraints de s’incliner devant son indomptable volonté. Cela ne leur avait pas, en somme, trop mal réussi. À un âge où l’on se traîne encore sur les bancs des lycées, Zéphyrin Xirdal avait concouru — pour s’amuser, disait-il, — à toutes les grandes écoles l’une après l’autre, et, dans ces concours, il avait invariablement obtenu la première place.

Par exemple, ces succès étaient oubliés à peine conquis. Les grandes écoles avaient dû successivement rayer de leurs contrôles ce lauréat, qui négligeait de se présenter à la reprise des cours.

La mort de ses parents l’ayant rendu, à dix-huit ans, maître de ses actions et riche d’une quinzaine de mille francs de rente, Zéphyrin Xirdal s’empressa de donner toutes les signatures que lui demanda son tuteur et parrain, le banquier Robert Lecœur, qu’il appelait « son oncle » par une habitude d’enfance, puis libéré de tous soucis, s’installa dans deux pièces minuscules, au sixième étage, rue Cassette, à Paris.

Il y demeurait encore à trente et un ans.

Depuis qu’il y avait installé ses pénates, le local ne s’était pas agrandi, et pourtant prodigieuse était la quantité de choses qu’il y avait entassées. Pêle-mêle, on y distinguait des machines et des piles électriques, des dynamos, des instruments d’optique, des cornues, et cent autres appareils disparates. Des pyramides de brochures, de livres, de papiers, s’élevaient du plancher au plafond, s’amoncelant à la fois sur l’unique siège et sur la table, dont ils haussaient simultanément le niveau, si bien que notre original ne s’apercevait pas du changement, quand, assis sur l’un, il écrivait sur l’autre. Au surplus, lorsqu’il se trouvait par trop incommodé par les paperasses, il remédiait sans peine à cet inconvénient. D’un revers de main, il lançait quelques liasses à travers la pièce ; puis, l’âme en paix, il se mettait au travail sur une table parfaitement en ordre, puisqu’il n’y restait rien du tout, et prête, par conséquent, pour de futurs envahissements.