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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/24

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Donc, pendant les deux jours qui suivirent, il fut impossible de savoir ce qu’était devenu Ilia Krusch. S’il avait pris les chemins de fer pour retourner à Racz, sa rentrée ferait sans doute quelque bruit, et les journaux en sauraient bien informer le public ; mais, assurément, en quittant Sigmaringen, il n’avait pas pris la route de la Hongrie.

Du reste, il est bon de noter que l’identité d’Ilia Krusch n’avait pas été établie après enquête. Pour lui, comme pour les autres membres de la Ligne Danubienne, on s’en était rapporté à ses déclarations. Il se disait Hongrois de la basse-Hongrie et il n’existait aucune raison de suspecter son dire. Sa cotisation payée et acceptée, il se trouvait dans la situation de ses confrères. On ne leur demandait rien autre chose que d’être passionnés pour la pêche à la ligne, et de considérer ce noble exercice comme supérieur à tous autres « dans le répertoire de l’humanité ! »

Après le succès qu’il venait d’obtenir, il y avait donc tout lieu de croire que cet Ilia Krusch ne négligerait pas de prendre part aux concours ultérieurs qui réunissaient six fois par an les membres de la Ligne Danubienne. On le verrait reparaître et au premier rang. C’était, en somme, un pêcheur des plus adroits, des plus entendus à ce métier — on en avait eu la preuve — et qui sait si la fortune ne lui sourirait pas encore ? Dans tous les cas, ce ne serait pas avant deux mois, et, vraisemblablement, l’heureux vainqueur allait retourner dans son pays, dans sa ville natale, où ses concitoyens lui feraient un accueil aussi enthousiaste que mérité.

Et alors, ce fut bien un autre étonnement lorsque le public put lire dans le (…) de Vienne les lignes suivantes, à la date du 26 avril de la présente année :

« Le nom d’Ilia Krusch est maintenant dans toutes les bouches et s’échappe de toutes les lèvres au milieu du brouhaha des admirations. On sait quel a été son double succès au dernier concours de la Ligne Danubienne, et lorsqu’on a récolté cette moisson de lauriers, il est permis de s’en faire un lit triomphal pour y goûter le repos après la victoire.

Or, que venons-nous d’apprendre ? c’est que ce Hongrois étonnant se prépare à nous étonner plus encore. Il ne se contente pas d’avoir reçu ses diplômes et ses primes de la main du président Miclesco. Voici qu’il se prépare à détenir un autre record, qui, probablement, ne lui sera jamais ravi dans l’avenir.

Oui ! si nous sommes bien informés — et l’on sait quelle est la sûreté de nos informations — Ilia Krusch se propose de descendre le Danube, la ligne à la main, tout le grand fleuve depuis son extrême source dans le duché de Bade jusqu’à son extrême embouchure sur la Mer Noire — un parcours d’environ sept cents lieues !

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