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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/44

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Tout en flânant à l’aventure, Ilia Krusch arriva devant la cathédrale, l’une des plus hardies de l’Allemagne. Son Munster avait l’ambition de s’élever dans le ciel plus haut que celui de Strasbourg. Mais cette ambition a été déçue, comme tant d’autres plus humaines, et l’extrême pointe de la flèche wurtembergeoise s’arrête à la hauteur de trois cent trente-sept pieds.

Ilia Krusch n’appartenait pas à la famille des grimpeurs. L’idée ne lui vint donc pas de monter au Munster, d’où son regard aurait pu embrasser toute la ville et la campagne environnante. S’il l’eût fait, il aurait été certainement suivi par cet inconnu qui ne le quittait pas, mais dont la curieuse insistance lui échappait cependant. Aussi, lorsqu’il entra dans la cathédrale, en fut-il accompagné, tandis qu’il admirait le tabernacle qu’un voyageur français, M. Duruy, a pu comparer à un bastion avec logettes et mâchicoulis, puis alors qu’il regardait les stalles du chœur qu’un artiste du quinzième siècle a peuplées des hommes et des femmes célèbres à cette époque.

Tous deux se retrouvèrent en face de l’Hôtel de Ville. En cas que cela fût de nature à l’intéresser, si Ilia Krusch eût demandé l’âge de ce monument municipal, il est probable que l’inconnu aurait pu lui répondre :

« Plus de six cents ans ont passé sur sa tête. Il est l’aîné de cette jolie fontaine de Joerg Syrling, édifiée près d’un siècle après lui, et que vous pouvez contempler sur la place du Marché en face de l’Hôtel de Ville. »

Mais le digne pêcheur n’interrogea personne à ce sujet, pas plus l’inconnu que n’importe quel autre Ulmois. Ce qu’il voyait suffisait sans doute aux besoins de son sens artiste, et comme, à partir de la place du Marché, il redescendit vers la rive gauche du fleuve, c’est que son intention était bien de rallier ce qu’un marin eût appeler son « port de relâche ».

L’autre s’engagea à travers les mêmes rues au milieu du dédale d’un quartier qui eût nécessité un guide. Aussi Ilia Krusch hésita-t-il à plusieurs reprises, et dut-il même demander son chemin.

C’était ou jamais l’occasion pour l’inconnu de rendre ce petit service à Ilia Krusch, s’il désirait se mettre en relation avec lui ; car, à n’en pas douter, il connaissait la ville. Il ne le fit pas, cependant, et, sans en avoir l’air, resta dans son attitude expectante.

Deux fois avant d’arriver au quai, Ilia Krusch fit une halte de quelques minutes. La première, ce fut pour assister au passage d’une compagnie d’échassiers, juchés sur leurs longues échasses, exercice très goûté à Ulm, bien qu’il ne soit pas imposé aux habitants comme il l’est dans cette antique cité universitaire de Tübingen, où il a pris naissance, tant son sol humide et raviné est impropre à la marche des simples piétons.

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