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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/8

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début de Storitz, où Henry Vidal descend le même fleuve de Vienne à Ragz, à bord du dampfschiff Mathias Corvin.

Le Beau Danube jaune, conçu comme une paisible promenade fluviale, décrit avec complaisance les diverses curiosités touristiques rencontrées en route. La qualité de maître pêcheur de l’ancien pilote du Danube, Ilia Krusch, permet d’exposer avec bonheur et humour toutes les finesses de ce noble sport. Le roman prend parfois des allures de manuel de la pêche à la ligne. Bien entendu, le sérieux n’est qu’apparent ; quand l’auteur déclare que la ligne du pêcheur « est un instrument qui a quelquefois une bête à son extrémité et toujours une bête à l’autre », il le pense sans doute, tout en affirmant le contraire. On le devine à l’aspect benêt — mais sympathique — de son héros, le brave Krusch, dont le nom se lit facilement comme une « cruche » !

L’adjonction d’un trafic de contrebande pimente discrètement l’action et permet de soupçonner le brave pêcheur qui se retrouve emprisonné. L’innocent serait coupable ! des partis se forment, des Kruschistes et des antikruschistes. Pour le lecteur de 1900, à l’évidence, comment ne pas penser à l’innocent Dreyfus et aux partis de dreyfusards et d’antidreyfusards ? sans doute, mais de là à conclure aux sentiments dreyfusards de Jules Verne…

Christian Chelebourg, amateur de l’oralité vernienne[1], découvre avec plaisir dans le Beau Danube jaune l’incroyable importance accordée aux boissons et aux mets. Le roman débute par une pantagruélique orgie à la bière et aux liqueurs, au son des hochs et des hoquets. Les héros ne se refusent pas chaque matin un petit coup d’eau-de-vie, un verre de bon vin à l’occasion ; quand I. Krusch fait des courses en ville, il achète — pour améliorer l’ordinaire, plutôt poissonneux — des tripes et même des escargots (ch. iv), sans oublier naturellement de fumer une bonne pipe.

Les transformations de Michel Verne

Michel Verne n’apprécie pas du tout la bonhomie paisible et souriante de l’œuvre de son père. D’un roman léger et ironique, il fait une œuvre sombre et policière, sans humour. On comprend dès lors que Jean Jules-Verne n’y retrouve plus « la bonne humeur railleuse » de son grand-père[2]. Alors que, justement, comme me le fait remarquer Philippe Lanthony, « cette ‘bonne humeur railleuse’ est la caractéristique principale du Beau Danube jaune ».

Michel Verne amplifie considérablement la partie policière initiale de l’œuvre au détriment des descriptions touristiques, des exploits de pêche et des fantaisies gastronomiques des deux compagnons, Krusch et Jaeger. Dans Le Pilote du Danube, la simple contrebande devient meurtres, rapi-

  1. Ch. Chelebourg, “Le texte et la table dans l’œuvre de Jules Verne”, BSVJ no 80, pp. 8-12.
  2. Jean Jules-Verne : Jules Verne, Hachette-Littérature, 1973, p. 354.
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