Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/84

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« Ils ne sont pas encore là ?…

— Non, répondit l’aubergiste. Il ne viendra pas avant ce soir…

— Eh bien, dételons, dit l’un des hommes. Les charrettes dans la cour, les chevaux à l’écurie…

— Et à manger, à boire, ajouta l’autre, car il fait faim et soif. Personne à cette heure dans la maison ?…

— Personne. »

Les choses s’étaient ainsi faites, comme elles se faisaient d’habitude, paraît-il, et, du dehors, on ne pouvait voir les deux charrettes abritées sous un large appentis de la cour. Quant aux six chevaux, — trois par attelage —, le fourrage ne leur fut point épargné. Ils avaient une longue étape dans les jambes sur ces durs chemins des Petites Karpates, et il leur en restait une non moins longue pour atteindre le Danube au confluent de la Morave. Il fallait leur donner des forces, car elle était lourde la charge qu’ils traînaient déjà depuis plusieurs jours.

Ainsi, depuis le matin, après avoir voyagé toute la nuit, les deux hommes étaient installés dans l’auberge. De temps en temps, l’un ou l’autre franchissait la porte pour jeter un regard sur la route. Une atmosphère un peu brumeuse ne laissait pas la vue se porter à grande distance. Dans tous les cas, comme l’avait déclaré l’aubergiste, ce ne serait pas avant la tombée de la nuit qu’arriverait celui que les deux hommes attendaient à ce rendez-vous.

Ce que les deux charretiers avaient de mieux à faire, après avoir mis les charrettes en lieu sûr, c’était d’abord de déjeuner. Après avoir marché toute la nuit, la faim les dévorait, et la soif, ainsi que l’un d’eux l’avait dit en arrivant, bien que les gourdes qu’ils portaient sous la grosse cape de laine, leur eussent largement permis de l’étancher en route. Ils s’attablèrent donc dans la salle basse. Aux provisions assez maigres de l’auberge, ils ajoutèrent les réserves substantielles dont les voitures étaient pourvues. Ils mangèrent copieusement tout en causant avec l’hôte et l’hôtesse, — un couple dont la mine n’avait rien de très engageant, mais des rouliers n’en sont pas à cela près.

Ce dont ils s’enquirent plus particulièrement, ce fut de savoir si des escouades de police ou de douane rôdaient à travers la campagne. Qu’ils n’en eussent point rencontré sur ces chemins détournés, entre les dernières ramifications des Petites Karpates, cela se comprenait. Sur ces contrées désertes, loin de toute ville ou de tout village, les agents ne se hasardaient pas volontiers, les voyageurs non plus d’ailleurs. Mais à l’endroit où ils venaient de s’arrêter le matin même, à l’angle occupé par l’auberge, la plaine commençait à se dégager, une route plus fréquentée suivait la rive gauche de la Morave. Elle traversait des bois assez profonds, elle des-

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