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Les deux hommes demandèrent à dîner et s’attablèrent dans la salle. Tout en mangeant, ils causaient à voix basse — par habitude sans doute, car ils n’avaient point à se défier de l’aubergiste.

« Pourvu qu’il puisse les dérouter, disait l’un. Il doit être avisé que les rives de la Morave sont surveillées…

— Oui… répondit l’autre, la police croit que la contrebande se fait par là, et que les chalands du Danube ont déjà descendu son affluent.

— Il faut le laisser croire, et au besoin répandre ce bruit…

— C’est ce qu’il a fait, de sorte que jusqu’ici la route est restée libre pour nos charrettes.

— Quant au bateau qui doit nous attendre…, reprit le premier.

— Pas d’inquiétude, déclara le second. Il est à la crique de Kordak, au confluent de la Morave, comme une honnête gabarre qui n’attend que d’avoir complété sa cargaison pour filer vers l’embouchure. »

Lorsqu’ils eurent achevé leur dîner, tous deux quittèrent la salle, et vinrent faire les cent pas sur la route.

Il était six heures et demie. Le soleil avait déjà disparu dans le Nord-Ouest derrière la chaîne des Petites Karpates. Le crépuscule s’accentuait, la nuit serait noire, une nuit sans lune, et d’épais nuages couvraient le ciel. Mais la pluie ne menaçait pas, et c’était une circonstance favorable pour que les charrettes puissent atteindre le confluent de la Morave avant l’aube. Quant à reconnaître leur chemin, même au milieu d’une obscurité profonde, cela n’était pas pour embarrasser les deux rouliers, qui connaissaient le pays, et, dans les mêmes conditions, avaient effectué ce cheminement entre l’auberge et la rive gauche du Danube.

Pendant leurs allées et venues sur la route — et ils la descendirent sur une centaine de toises — les deux hommes ne virent rien de suspect. La contrée était absolument déserte. Avec les derniers souffles de la brise qui tombait du Sud, on eût entendu un bruit de voix, un bruit de pas qui se fût produit de ce côté. Silence absolu. Il était à croire, d’ailleurs, d’après les renseignements fournis, que les agents devaient être en surveillance sur les rives de la Morave, en amont, et par conséquent à la distance d’une bonne lieue de l’auberge.

Les deux hommes rentrèrent donc, et allèrent donner un coup d’œil aux attelages qui se reposaient dans l’écurie.

Vers sept heures et quelques minutes, la porte de la salle s’ouvrit brusquement, et l’aubergiste de crier aussitôt :

« Le voici ! »

Les deux rouliers s’élancèrent hors de l’écurie, et rejoignirent le nouveau venu.

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