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« Je crois que la brise durera jusqu’au soir…

— Mais demain ?… demanda Ben Raddle.

— Demain… on verra, dit simplement Neluto.

— Embarquons », commanda Bill Stell, que les sœurs rejoignirent un instant après.

Le bateau du Scout était une sorte de chaloupe ou plutôt de barge longue de trente-cinq pieds. Un tôt[1] en occupait l’arrière, sous lequel deux ou trois personnes pouvaient s’abriter soit pendant la nuit, soit le jour, lors des bourrasques de neige et des rafales de pluie. Cette embarcation à fond plat, et par conséquent tirant le moins d’eau possible, était large de six pieds, ce qui lui permettait de porter une assez grande voile. Taillée comme la misaine des chaloupes de pêche, elle s’amurait à la pointe de l’avant, et se hissait à l’extrémité d’un mâterau long d’une quinzaine de pieds. En cas de mauvais temps, ce mâterau se dégageait aisément de son emplanture, on le couchait sur les bancs, et le bateau marchait à l’aviron.

Étant données la disposition de la voile et la forme de la coque, cette embarcation n’eût pu tenir le plus près en cas de vent contraire. Mais avec du largue, elle gagnait encore. Or, grâce aux sinuosités des passes entre les champs de glace, il arrivait trop souvent que le pilote trouvait vent debout. Alors, après avoir serré la voile et couché le mât, il faisait garnir les avirons, et maniés par les bras robustes des quatre Canadiens, ils permettaient d’atteindre une allure plus favorable.

Du reste, la surface du lac Benett n’est pas considérable, et il ne saurait se comparer à ces vastes mers intérieures du nord de I’Amérique, où les tempêtes se déchaînaient avec une incomparable violence. Ces hautes régions du Dominion et de l’Alaska, comme celles de la baie d’Hudson, ne sont point abritées par des montagnes contre les courants polaires, et sont parfois bouleversées par des tourmentes qui soulèvent les eaux des lacs en lames monstrueuses. On comprend dès lors qu’une embarcation peu « marine » ne puisse y résister et se trouve bientôt en perdition si le temps lui manque pour gagner une relâche.

À huit heures, les préparatifs étaient achevés, les bagages à bord. Le Scout emportait une certaine réserve de vivres, viande conservée, biscuit, thé, café, un tonnelet d’eau-de-vie, une provision de charbon pour le fourneau établi à l’avant. D’ailleurs, on comptait sur la pêche, car le poisson abonde dans ces eaux, et aussi sur le gibier, perdrix ou gélinottes, qui fréquente les rives du lac.

Le Scout était en règle avec la douane qui est très exigeante et ne laisse

  1. J. V. aurait dû écrire un taud, mais nous respectons son orthographe phonétique. Dans ce roman, Michel Verne corrige en taud, mais laisse tôt dans Le Pilote du Danube.
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