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mathias sandorf.

bord. Soudain, je plongeai, et l’embarcation, avant que ceux qui la montaient eussent pu m’apercevoir, vira au-dessus de ma tête.

« À bout de respiration, je vins reprendre haleine à l’air libre, et je continuai à gagner dans l’ouest.

« La brise mollissait avec la nuit. Les lames tombaient avec le vent. Je n’étais plus soulevé que par de longues houles de fond qui m’entraînaient vers la haute mer.

« C’est ainsi que, tantôt nageant, tantôt me reposant, je m’éloignai de la côte pendant une heure encore. Je ne voyais que le but à atteindre, non le chemin à parcourir. Cinquante milles pour traverser l’Adriatique, oui, je voulais les franchir, oui ! je les franchirais ! Ah ! Pierre ! il faut avoir passé par de telles épreuves pour savoir ce dont l’homme est capable, quelle résultante, de la force morale unie à la force physique il peut sortir de la machine humaine !

« Pendant une seconde heure, je me soutins ainsi. Cette portion de l’Adriatique était absolument déserte. Les derniers oiseaux l’avaient abandonnée pour regagner leurs trous dans les roches. Il ne passait plus au-dessus de ma tête que des goélands ou des mouettes, qui poussaient des cris aigus en s’envolant par couples.