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mathias sandorf.

Une circonstance imprévue, improbable aussi, allait rendre cette situation plus insupportable encore, — terrible même par les complications qu’elle devait y apporter.

Mme Toronthal avait reporté toutes ses affections sur sa fille qui était à peine âgée de deux ans et demi, quand, à la fin de l’année 1867, son mari et elle vinrent demeurer à Raguse.

Sava avait maintenant près de dix-sept ans. C’était une charmante personne qui se rapprochait plus du type hongrois que du type dalmate. Des cheveux noirs et épais, des yeux ardents, largement découpés sous un front haut, de « forme psychique », si l’on peut se servir de ce mot que les chirognomonistes appliquent plutôt à la main, une bouche bien dessinée, un teint chaud, une taille élégante, un peu au-dessus de la moyenne, — cet ensemble de qualités physiques n’eût laissé aucun regard indifférent.

Mais, ce qui frappait surtout dans sa personne, ce qui devait plus vivement impressionner les âmes sensibles, c’était l’air grave de cette jeune fille, sa physionomie pensive, comme si elle eût toujours été à la recherche de souvenirs effacés, c’était cet on ne sait quoi qui attire et attriste. De là, l’extrême réserve qu’elle imposait à tous ceux qui fréquen-