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mistress branican.

même. Étroitement surveillée par la mulâtresse Nô, Dolly, malgré les supplications de Jane, fut pour ainsi dire séquestrée, soustraite à la vue de ses amis et de ses voisins sous prétexte de maladie. Sept mois plus tard, toujours folle et sans qu’il en fût resté trace dans sa mémoire, elle avait mis au monde un second enfant. À cette époque, la mort du capitaine John étant généralement admise, la naissance de cet enfant venait déranger les plans de Len Burker relatifs à la fortune future de Dolly. Aussi avait-il pris la résolution de tenir cette naissance secrète. C’est en vue de cette éventualité que, depuis plusieurs mois, les domestiques avaient été renvoyés du chalet et les visiteurs éconduits, sans que Jane, contrainte de se courber devant les criminelles exigences de son mari, eût pu s’y opposer. L’enfant, né de quelques heures, abandonné par Nô sur la voie publique, fut par bonheur recueilli par un passant, puis transporté dans un hospice. Plus tard, après la fondation de Wat-House, c’est de là qu’il sortit pour être embarqué en qualité de mousse à l’âge de huit ans. Et maintenant, tout s’explique, — cette ressemblance de Godfrey avec le capitaine John, son père, ces pressentiments instinctifs que Dolly ressentait toujours — Dolly mère sans le savoir !

« Oui, Len, s’écria Jane, c’est lui !… C’est son fils !… Et il faut tout avouer… »

Mais, à la pensée d’une reconnaissance qui eût compromis le plan sur lequel reposait son avenir, Len Burker fit un geste de menace, et des jurons s’échappèrent de sa bouche. Prenant la malheureuse Jane par la main et la regardant dans les yeux, il lui dit d’une voix sourde :

« Dans l’intérêt de Dolly… comme dans l’intérêt de Godfrey, je te conseille de te taire ! »