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situation compromise.

« Ah ! madame Anna, s’écrie-t-il, pourquoi m’avez-vous dit que vous n’étiez pas maman…

— Te tairas-tu, petit malheureux !… Veux-tu te taire ! murmure-t-elle, tandis que le duc et le magistrat restent déconcertés devant ces répliques non prévues.

— Si… si… répond Sib, vous êtes maman… Je vous l’avais bien dit, madame Anna… ma vraie maman ! »

La salle commence à comprendre que cela « ce n’est pas dans la pièce ». On chuchotte, on plaisante. Quelques spectateurs applaudissent par raillerie. En vérité, ils auraient dû pleurer, car c’était attendrissant, ce pauvre enfant qui croyait avoir retrouvé sa mère dans la duchesse de Kendalle !

Mais la situation n’en était pas moins compromise. Que, pour une raison ou pour une autre, le rire éclate là où les larmes devraient couler, et c’en est fait d’une scène.

Miss Anna Waston sentit tout le ridicule de cette situation. Des paroles ironiques, lancées par ses excellentes camarades, lui arrivent de la coulisse.

Éperdue, énervée, elle fut prise d’un mouvement de rage… Ce petit sot, qui était la cause de tout le mal, elle aurait voulu l’anéantir !… Alors les forces l’abandonnèrent, elle tomba évanouie sur la scène, et le rideau fut baissé pendant que la salle s’abandonnait à un fou rire…

La nuit même, miss Anna Waston, qui avait été transportée à Royal-George-Hotel, quitta la ville en compagnie d’Élisa Corbett. Elle renonçait à donner les représentations annoncées pour la semaine. Elle paierait son dédit… Jamais elle ne reparaîtrait sur le théâtre de Limerick.

Quant à P’tit-Bonhomme, elle ne s’en était même pas inquiétée. Elle s’en débarrassait comme d’un objet ayant cessé de plaire et dont la vue seule lui eût été odieuse. Il n’y a pas d’affection qui tienne devant les froissements de l’amour-propre.

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