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INSUFFISANCE DU SENS DL lU TIIME 63

carrer, se contredire. Reprenons le cas d un pied d une svllabe : je m'attendais à en trouver deux, ou trois; comme je n'en rencontre qu'une, je pourrai par une réflexion rapide me dire que ce pied est trop court, et je serai ainsi entraîné à prolonger l'unité rythmique. Mais cette réflexion ne se présentera guère qu'à l'esprit d'un métricien qui scande des vers. Dans la récitation naturelle, c'est rinfluence précédemment signa- lée qui prévaudra. Mais, même dans cette récitation naturelle, nous pou- vons voir entrer en lutte deux autres sortes de représentation de la durée. Si je suis enclin à attendre l'épuisement de la sensation du temps marqué avant de passer au suivant (v. Ch. vin), je serai par là même porté à pro- longer les pieds en raison de la force donnée au temps marqué. Or nous venons de voir qu'en même temps la mesure de la durée par le sens dvnamique de l'audition nous porte au contraire a abréger ces pieds. (Qu'est-ce qui se passe en réalité ? Seules des mesures objectives peuvent nous l'apprendre. Il va sans dire que plus le sens du rythme est alFiné, moins ces illusions d'acoustique auront d'influence sur le chanteur ou le diseur, moins elles réussiront à l'égarer: elles n'ont ouère d'efl'et danoe- reux que sur les maladroits, les inexpérimentés.

§ 03. Jai signalé à plusieurs reprises combien nous sommes plus mal placés en face du rvthnie temporel qu'en face du rvthmc spatial : il nous est impossible de nous reporter, pour contrôler et rafraîchir 1 image audi- tive du souvenir, aux unités rvthmiques précédentes, toutes évanouies au fur et à mesure, son par son, vibration par vibration. 11 n'v a donc rien d'étonnant si cette image s'altère plus ou moins vite et dans des propor- tions plus ou moins grandes, surtout chez les personnes qui n'ont pas développé par l'exercice leur sens du rythme. Il est plutôt surprenant qu'elle reste si fidèle, quand nous songeons aux irrégularités où nous tombons par rapport au rythme spatial, malgré les moyens de contrôle et autres avan- tages qu'il nous présente. Aussi nous en rapportons-nous si bien à notre sens du rythme temporel que nous nous en servons parfois pour mesurer des intervalles spatiaux : quand on veut tracer une séiie de traits équidis- tants, par exemple, on mesure en général la distance par le temps qu'on met à porter son regard de chaque trait au suivant. Il est vrai qu'en ce cas le rythme tempoiel peut être guidé, sinon dirigé, par les sensations cinétique et dynamique d'un mouvement lui-même rythmé, le mouvement de la tête, le mouvement des yeux, ou même, je l'ai observé, le mouvement des paupières.

§ 64. 11 se passe quelque chose d'analogue quand on « marque » ou « bat » la mesure pour son propre compte. Cependant, les mouvements du bras, du pied, de la tête ou du torse qui accompagnent le retour du temps marqué ou bien correspondent par leur durée et leur amplitude à l'unité rvthmi- que de la musique ou de la poésie, ont-ils essentiellement pour but de nous indiquer la mesure? Je ne le crois pas. Ils nous servent tout simplement à renlorcer chez nous la sensation du l'vthme. Plus exactement encore, le rythme se communique au coips tout entier: le bras, la jambe, la tête, tous trois peut-être, se laissent entraîner par la cadence, comme une