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70 ESTHETIQUE T>V RYTHME

action et réaction. La terre elle-même décrit dans l'espace un rvthme, abstrait pour nous, dont chacune de ses révolutions forme une unité — la terre, et le soleil, et la nébuleuse où ils gravitent. Si nous nous élevons de l'existence inorganique h la vie organique et animée, le rvthme nous v apparaît comme une condition essentielle, le rythme intensif, surtout, c'est-à-dire le rythme par excellence: l'efTort et le repos, la contraction et la détente y alternent avec un synchronisme nécessaire — comme dans le battement du cœur — parce que l'immobilité ou le désordre entraîneraient la désagrégation de l'organisme, la maladie, la mort. L'énergie vitale s'é- lève et s'abaisse par vagues égales. Dans le rythme bat le pouls de la vie universelle.

§ 73. Quant aux exemples particuliers, ils sont innombrables, surtout pour le rythme spatial. Dans son propre corps, l'homme remarque le rythme plus ou moins imparfait des dents, des doigts, des côtes, des vertèbres, des cils. Chez les animaux, il observe en outre, par exemple, les ravures du tigre ou du zèbre, les ocellations de la panthère et du paon, les mouche- tures de la pintade, les plumes des oiseaux et surtout les pennes, les écailles et les arêtes dorsales des poissons, les anneaux de la guêpe et du ver, les côtes et les piquants des coquillages. Les végétaux lui présentent souvent un rythme, en général à peine esquissé, dans l'ordonnance des branches, des fleurs et des feuilles, dans les nervures et les dentelures des feuilles, dans les tiges équidistantes du sceau-de-Salomon. La nature morte elle-même a les cristaux, les colonnes de basalte, les marbrures des miné- raux, les diverses couches géologiques au flanc des falaises, la rive serpen- tante des cours d'eau, les empreintes des flots sur les grèves.

§ 74. Le rythme temporel se trouve déjà comme en puissance dans le rythme spatial, qui s'y ramène pour nous, de même qu'il en provient: quand on parcourt du regard un alignement de fûts basaltiques ou les rayures d'un tigre, on ébauche, au moins, dans ce mouvement un rythme temporel. Le rythme temporel proprement dit est peut-être moins riche- ment représenté, je veux dire qu'il offre moins de grandes variétés ; mais il s'impose plus souvent et plus fortement à notre attention. 11 palpite sans cesse en nous et autour de nous : le battement du cœur, le pouls, la respi- ration, la marche, le saut, chez l'homme et l'animal — la double note répétée à intervalles égaux par le coucou, le roucoulement du pigeon et de la tourterelle, le chant de tant d'oiseaux, la crécelle delà cigale, le cri-cri du grillon, la stridulation de la sauterelle — le crépitement de la pluie, le claquement léger des gouttes d'eau qui suintent du toit des cavernes ou glissent le long des feuilles pour se détacher enfin et venir frapper le sol, le bercement des tiges flexibles dans la brise, lé frémissement des feuilles au vent, l'ondulation et le clapotis des flots, le scintillement des étoiles.

§ 75. L'imagination et la pensée de l'homme sont aussi frappées par les rythmes abstraits, qui l'intriguent par leur ampleur ou leur complexité et qui lui servent à mesurer le temps. C'est avec étonnement et intérêt quil observe et étudie le lever et le coucher du soleil, ainsi que son arrivée au zénith, sa place dans le ciel aux divers moments de l'année, le retour des